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Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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ses choux gras.
    Résultat : Pompidou a demandé à Giscard de rentrer en quatrième vitesse, d’autant que beaucoup de choses semblent s’être dégradées autour de lui : opposition goguenarde, prétendant que la France va avoir besoin, pour sortir du marasme, de demander de l’aide à ses partenaires européens ou, comble d’horreur, au FMI ; dialogue social en panne.
    Bref, Conseil des ministres musclé, aboutissant à limiter le crédit aux particuliers et à décréter le blocage des prix. Toutes mesures qui passent mal, y compris à l’intérieur de la majorité. C’est sûrement une erreur d’avoir attendu trois semaines avant de rendre publiques ces mesures qui auraient été mieux acceptées si elles avaient suivi immédiatement la dévaluation. Mauvais point pour le ministre des Finances.

    16 septembre
    Les vacances terminées et la mauvaise humeur d’août apaisée, le grand rendez-vous de la rentrée politique était aujourd’hui à l’Assemblée nationale : la déclaration de politique générale de Jacques Chaban-Delmas aux députés. La salle des Pas-Perdus et celle des Quatre-Colonnes sont bourrées de monde ; tous les députés, ou presque, sont présents dans les couloirs d’abord, dans l’hémicycle ensuite : l’opposition, silencieuse ; la majorité, excitée.
    Jacques Chaban-Delmas a passé l’été presque entièrement à préparer son discours avec deux conseillers qui n’appartiennent pas à l’UDR, il s’en faut. Simon Nora, le premier d’entre eux, a été un des conseillers les plus écoutés de Pierre Mendès France lors de son passage à la présidence du Conseil en 1954-55. Ami d’adolescence de Jean-Jacques Servan-Schreiber, Valéry Giscard d’Estaing et de Jacques Duhamel, c’est lui, me dit Françoise Giroud dont il est un ami proche, qui a écrit la plupart de ces fameuses « causeries au coin du feu » que PMF a prononcées, de sa voix mélodieuse, à la radio, le samedi en fin d’après-midi, pendant les sept mois et dix-sept jours où il a régné sur Matignon. Son charme, sa voix, ses analyses aussi, notamment sa volonté de réformer la société française, de contourner ses blocages, ont convaincu depuis longtemps l’équipe de L’Express .
    Tout autre est Jacques Delors, que j’apprends à connaître depuis qu’il est au cabinet de Chaban. Nora vient de la grande bourgeoisie aisée ; Delors, lui, vient du syndicalisme chrétien. Il a commencémodestement comme chef de service à la Banque de France 38 avant de terminer au Plan. C’est là qu’il a commencé d’être connu et apprécié dans les milieux politiques.
    Ce sont ces deux hommes donc qui ont plus ou moins rédigé le discours sur la « nouvelle société » que Chaban a prononcé aujourd’hui. Franchement, quel beau discours ! À l’Assemblée, députés et journalistes n’ont pas dit un mot tout le temps – assez long – qu’a duré l’allocution de Chaban. On n’a pas entendu un bruit. Sa voix, pourtant désagréable lorsqu’il la force, n’a dérangé personne, tant sa conviction était forte. L’analyse est simple : fragilité de l’économie, fonctionnement souvent défectueux de l’État, archaïsme et conservatisme des structures sociales.
    Sur l’économie, les experts reconnaissent la patte de Nora ; sur les structures sociales, je reconnais celle de Delors. Jacques Chaban-Delmas donne au texte sa cohérence, avec sa dénonciation de la société de castes, des écarts excessifs de revenus, de l’insuffisante mobilité sociale.
    C’est un discours où il passe un souffle, un élan, une volonté tels que je n’en ai pas entendu, ici, à l’Assemblée, depuis longtemps. On retiendra de Chaban cette espérance en une « nouvelle société ».
    Quant au passage sur la réforme de l’actualité télévisée, qu’il a délibérément abordée aujourd’hui dans son discours de politique générale – pour bien montrer, me dit Delors, qu’elle est capitale si on veut rompre les archaïsmes –, personne ne s’y attendait, il stupéfie tout le monde.
    Bien joué ! L’opposition n’attendait pas un tel discours. Mais je sens chez Mitterrand, chez Maurice Faure, chez Félix Gaillard aussi, une sorte de bienveillance, dirais-je, à l’égard de Chaban : ils le connaissent depuis la IV e  République, ils ont avec lui une complicité qui dépasse les clivages de la politique. Ils n’applaudissent pas, mais ils reconnaissent, entre eux, plus

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