Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
votre amie Marie-France Garaud que, contrairement à ce qu'elle raconte partout, je ne suis pas inscrite à l'UDF. »
Horriblement gêné, craignant qu'elle ne soit entendue et souhaitant que le moins d'écho possible soit donné à cette sortie, Jacques Toubon ne coupe pas, il me l'a raconté, à une avoinée magistrale de Bernadette, du genre : « Jacques va sombrer, s'il vous suit. Vous êtes tous des irresponsables. Il devrait se contenter de Paris au lieu d'aller au-devant de la catastrophe électorale des européennes. »
Il semblerait que ce soit après cette intervention de sa femme que Jacques Chirac, début juin, ait entamé une certaine désescalade vis-à-vis de Giscard. Ce que Pierre Juillet a appelé un « dégonflage » : je comprends mieux qu'il ait rapporté à Michel Debré que Chirac ne se refusait pas, désormais, à envisager qu'il puisse être à nouveau ministre de Giscard. C'est ce jour-là que Juillet, paraît-il, a pris la décision de quitter l'état-major de Chirac.
Le dimanche 10, soir des élections, il n'était pas présent dans le bureau de ce dernier, rue de Lille. Marie-France seule était là. Elle n'est pas restée longtemps : elle a vidé son sac auprès de Chirac, le lundi matin, en lui disant en face tout le mal qu'elle pensait de lui, et notamment qu'il ne serait jamais président de la République. Ils se sont quittés en s'embrassant, me dit Paul Guilbert, mais le cœur n'y était plus.
20 juin
On a beaucoup parlé, ces jours-ci, de l'éventuel départ de Raymond Barre. D'abord parce que avec les élections européennes, un cap a été franchi. Normal qu'on se demande si, dans une nouvelle étape, Barre resterait ou non à Matignon. D'autant qu'il s'était fixé à lui-même le cap des trois ans : lorsqu'il était arrivé à Matignon, en août 1976, il s'était donné ce laps de temps pour réussir ou pour échouer. Nous y sommes.
S'ajoute au calcul fait par Barre il y a trois ans un nouveau compte à rebours qui commence aujourd'hui : deux ans seulement nous séparent de l'élection présidentielle. Si Giscard veut changer d'attelage, c'est maintenant ou jamais. D'où la rumeur persistante, cette semaine, d'un changement de Premier ministre.
Je suis convaincue qu'il n'y en aura pas. D'abord parce que Giscard n'a jamais été aussi fort : le Parti socialiste est toujours affaibli par sa défaite de l'année dernière, même si son score aux européennes a été correct. De surcroît, Mitterrand n'arrive pas, malgré sa victoire au congrès de Metz, à mettre fin à sa division. Jacques Chirac est tombé dans tous les pièges qui lui ont été tendus, il n'a évité ni la marginalisation chez les électeurs, ni la discorde dans ses rangs. Il est pour l'instant neutralisé.
Cela étant, on assiste à un spectacle inédit sous la V e République : c'est le président de la République qui arrondit les angles pour son Premier ministre. Il met en relief avec complaisance ses succès économiques, mais gomme ses échecs. Il sait bien pourtant que l'inflation ne s'est pas ralentie, qu'elle est supérieure à 10 % cette année, que le chômage continue son petit bonhomme de chemin.
De toute façon, voudrait-il changer de Premier ministre, Giscard ne le pourrait pas : aux yeux du monde entier, c'est Raymond Barre, désormais, qui incarne l'équilibre du franc et la stabilité monétaire. C'est ce qu'on peut appeler la « barrisation » de Giscard .
26 juin
Quelques jours sans écrire... Quelques réflexions sans ordre me viennent à l'esprit, ce matin, accompagnées du constat cent fois répété, mais de plus en plus, que je n'écris pas assez !
Riolacci plaisante sur Jean François-Poncet : « Lorsqu'il a quitté l'Élysée pour le Quai d'Orsay, il est venu me dire au revoir. Je lui ai donné un conseil : mettez-vous en colère. Je crois qu'au Quai, il a suivi mon conseil à la lettre. »
De fait, chacun me dit que les colères de Jean François-Poncet au ministère font régner la terreur ! Il est même, me dit-on, franchement irascible. Ce que me confirme Maurice Faure dont il a été, sous la IV e République, directeur de cabinet. Lorsque je lui demande si c'est vrai, François-Poncet sourit : « C'est que je n'avais aucune raison de me mettre en colère à l'Élysée, alors qu'au Quai d'Orsay, tout, les pesanteurs, les pusillanimités, les personnels aussi, tout m'y conduit ! »
Déjeuner de femmes chez l'ambassadrice d'Arabie
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