Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
permet de l'exclure.
10 juillet
Antoine Rufenacht me parle d'Alice Saunier-Séité 33 . Il y a quelques mois, à Versailles, lorsqu'il était encore secrétaire d'État, elle le saisit par sa veste et lui dit : « On rentre ? »
De Chirac, Rufenacht dit également, dans un registre plus sérieux, qu'il ne serait pas étonné qu'il y ait quelque part un rapprochement entre Chirac et Giscard. Une fois de plus, les « barons gaullistes » se sentent blousés : si Jacques Chirac se rapproche à toute allure de Giscard, ils vont être pris de vitesse...
17 juillet
Première session de l'Assemblée européenne à Strasbourg dans un hémicycle tout neuf. C'est Louise Weiss 34 qui, comme doyenne d'âge, préside la séance. Elle fait part, en européenne de la première heure, de sa joie : « La joie la plus forte que peut éprouver une créature à la fin de sa vie. » Elle appelle à garder « un sentiment juste à l'égard de notre place dans le monde. Nous sommes, dit-elle, légataires d'une spiritualité, et garants de cette spiritualité au bénéfice des générations à venir ». Et de citer, parmi les pères de l'Europe qui ont porté cette assemblée élue au suffrage universel sur les fonts baptismaux, Aristide Briand et Konrad Adenauer, Paul Valéry et Jean Monnet, le général de Gaulle et Einstein.
Pendant qu'elle parle, je vois Simone Veil passer un petit mot à Michel Poniatowski tandis que Chirac, qui n'écoute pas, fait son courrier, comme il le fait à l'Assemblée nationale. Tous distingués et distraits, les Anglais affichent un air indifférent, tandis que l'Italien Craxi constitue ouvertement son gouvernement et appelle les uns après les autres tous ceux qui peuvent faire partie de sa coalition.
Pendant ce temps-là, les tractations pour la présidence vont bon train. Simone Veil n'y participe pas directement, mais Ponia le fait pour elle. Comme me le confie Maurice Faure, Simone Veil a contre elle les Hollandais, pour qui tout candidat du « roi de France » est contestable, le Luxembourgeois Gaston Thorn, qui attend son heure, et l'Italien Colombo qui pourrait être remis en selle si Simone Veil échouait.
Je rencontre dans les couloirs Ponia, géant beige et rose, plus épanoui que jamais, et Edgar Faure en verve. Tous deux me racontent des magouilles auxquelles je ne comprends pas grand-chose : bref, Ponia s'est débrouillé pour que les voix des libéraux allemands aillent à Simone Veil ; c'est Lecanuet qui, comme il se doit, s'occupe des démocrates-chrétiens allemands dont certains voyaient en Simone Veil la ministre de l'interruption volontaire de grossesse, qu'ils condamnent. Il me raconte : « Cela n'a pas été le plus difficile. Le plus difficile a été de vaincre les réticences des démocrates-chrétiens italiens qui craignaient de voir resurgir à leur détriment un axe Paris-Bonn, et des Allemands qui craignaient la trop grande influence de Giscard, par Simone Veil interposée, sur l'Assemblée européenne. »
Une union sacrée, en quelque sorte, du côté de la majorité giscardienne pour faire désigner Simone Veil.
J'apprécie le talent oratoire de plusieurs orateurs étrangers que je ne connaissais pas : Marco Panella, le radical italien, est de ceux-là, qui parle avec passion des pacifistes antinucléaires dont il déplore qu'ils ne soient pas présents dans cette assemblée de Strasbourg.
Drôle d'assemblée, vraiment, et drôle de séance ! On y voit dans les couloirs Rossi (Tino, oui, parfaitement) embrassant comme du bon pain Rossi (André), et Pierre Mauroy parler de questions de santé avec Simone Veil. On voit dans les gradins de l'hémicycle Ponia s'agenouiller derrière Simone Veil pour lui rendre compte des pronostics en cours, tandis que le RPR annonce qu'il votera au premier tour pour Christian de la Malène. On y entend même Edgar Faure parler de magouilles, en assurant que, pour la première fois de sa vie, il n'y comprend rien ! À qui se fier...
Au bout du compte, Simone Veil est élue au deuxième tour de scrutin à 21 h 52 35 . Sagement, elle envoie tout le monde se coucher : elle prononcera son discours demain matin.
« Mission accomplie » : c'est en ces termes que, dans les couloirs, en sortant de séance, Jean Lecanuet, qui n'a pas ménagé sa peine, conclut le vote. Quant à Ponia, épanoui, il me glisse : « Elle est élue, il n'y a que cela qui compte ! »
C'est peut-être idiot, mais je suis assez
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