Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
l'« inhumanité » d'un ministre RPR, les interrogations sur le rôle de Chirac dans la mise en marche de la machine anti-Boulin, tout cela accentue le malaise – j'allais écrire le naufrage – de la majorité.
20 novembre
Débat sur la motion de censure après que Barre a fait jouer le 49-3. Les orateurs se succèdent à la tribune : Mitterrand, littéraire, Robert Ballanger, le communiste, égal à lui-même, tonitruant et assez creux. Le chiraquien Claude Labbé est laborieux, le giscardien Roger Chinaud, vindicatif. Puis vient le tour de Michel Debré, le plus attendu, car chacun veut voir le choc entre l'ancien et l'actuel Premier ministre.
L'opposition, on sait qu'elle votera la motion de censure. Si les RPR la votent aussi, c'est pour le coup une vraie crise de régime. Jusqu'où ira Michel Debré, que fera le RPR ? Questions que tous les observateurs se posent au moment où il commence à parler.
Michel Debré rappelle que, lorsqu'il avait présenté le premier budget de la V e République, il s'était abstenu, lui, de critiquer ses prédécesseurs : allusion à la sortie de Raymond Barre, samedi dernier... Pendant qu'il dit ces mots, Barre, au banc du gouvernement, tapote nerveusement son pupitre. On le comprend : les critiques pleuvent. Le chômage ne peut pas rester aussi élevé, la tornade extérieure menace la France, le trou de la Sécurité sociale reste à combler. « Nous pouvons garder toutes nos chances, mais prenons les choses avec sérieux, demande Debré (le mot “sérieux” accroît l'énervement de Raymond Barre, qui pense manquer de beaucoup de choses, mais pas de sérieux !). Il ne faut pas rejeter dans les ténèbres extérieures ceux qui disent qu'un sursaut peut nous placer dans le camp victorieux ! » La première tâche, selon lui, est d'enrayer la course permanente au déficit, de renforcer la solidarité nationale, fût-ce au prix d'un prélèvement sur les fortunes.
À cet instant, je vois Pierre Joxe et Charles Hernu applaudir Michel Debré : ce doit être la première fois de leur vie ! Les leaders socialistes arrêtent bien vite de manifester leur soutien à l'ancien Premier ministre quand celui-ci suggère que le gouvernement, pendant deux ans, procède par ordonnances pour tout ce qui concerne le budget de l'État et le budget de la Sécurité sociale.
Envol dans la phrase de fin, tout à fait dans le style Debré : « Ce n'est pas la France socialiste, ni la France UDF, ni la France communiste, ni la France des PME, ni la France bretonne, ni la France lorraine qu'il faut sauver, mais plutôt ce sont tous les Français qu'il faut sauver ! »
Pas fou, Debré, derrière ses incantations, n'a en réalité fermé aucune porte. Il n'a pas dénoncé l'appartenance du RPR à la majorité, il n'a pas menacé le gouvernement de rupture. N'empêche que le Premier ministre en exercice n'est pas content du tout de ce qu'a dit son lointain prédécesseur. Quand on pense qu'en 1976, lorsqu'il a été nommé, Debré faisait son éloge !
D'ailleurs il est 16 h 10, Barre répond. Il concentre d'abord ses tirs sur l'union de la gauche. Normal. Puis rassure le premier orateur qui s'était exprimé pour le RPR, Claude Labbé : « Je gouvernerai avec la majorité, dit-il en s'adressant à lui, je ne gouvernerai pas contre elle ! » Avec Michel Debré, le ton est différent. Barre est visiblement exaspéré par la leçon que ce dernier vient de lui donner. Un professeur professé ! Il le prend mal et en fait juge les députés : « Dois-je entendre dire que je me contente de critiquer mes prédécesseurs, que mon budget 1980 est un mauvais budget ? Et faire comme si de rien n'était ? Je vous le demande : est-il possible d'entendre tout cela ? »
Après cela, sa réponse est classique : il veut doter le pays d'une économie solide, poursuivre la lutte contre l'inflation.
(Je m'endors comme souvent lorsque Barre parle, y compris même dans le brouhaha de l'Assemblée. Lorsque je me réveille, trop tard : il a terminé...)
Je rencontre Mitterrand dans la salle des Quatre-Colonnes au moment où il s'apprête à quitter le Palais-Bourbon. Comment dire ? Sur son visage, une assurance que je connais bien : il se présentera à nouveau en 1981. Sur quoi est-ce que je fonde ma certitude ? Sur l'analyse qu'il fait de la situation : ce qui s'est passé aujourd'hui à l'Assemblée, la bagarre Chirac-Giscard par Barre interposé, l'encourage. Et
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