Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
mer, d'immensité. L'un mesurant ses amitiés. L'autre aimant le tutoiement, les militants, les camarades, la promiscuité des camps scouts. L'un tortueux, compliqué, veillant à tout, surveillant tout, devinant beaucoup, redouté et redoutable. L'autre plus jeune, plus nouveau dans les milieux politiques, encore qu'il y milite depuis très longtemps, incarnant un socialisme plus moderne, misant sur l'opinion publique, la presse, les médias.
Et, entre eux, un nouveau gourou de la politique : Claude Marti 49 .
23 octobre
À nouveau Philippe Mestre à Matignon. Car, après tout, j'ai beau être plongée dans l'histoire Mitterrand/Rocard jusqu'au cou, le gouvernement existe !
Le comportement de la majorité ne l'inquiète pas particulièrement, par ces temps agités : au contraire, il me parle d'apaisement systématique entre les deux composantes de la majorité. Le budget, contrairement à ce qu'il craignait la fois précédente, sera adopté sans difficulté.
Le Plan seulement a entraîné deux protestations du RPR : Claude Labbé s'est demandé s'il était opportun de parler d'un Plan à cinq mois des élections, et dans le même sens un autre député RPR a fait remarquer que le Sénat n'aurait sans doute pas le temps d'être consulté.
Par-delà ces considérations de technique parlementaire, Philippe Mestre est toujours aussi optimiste : il ne pense pas que Jacques Chirac sera candidat – « à moins de schizophrénie ».
« D'autant, ajoute-t-il, qu'il ne serait pas en seconde position, s'il se présentait ! »
Il énumère les obstacles dressés devant Chirac : conjoncture économique difficile, conjoncture internationale telle que le RPR ne voudra pas gêner le gouvernement. Il fait enfin état de la baisse de popularité qu'il juge considérable de Jacques Chirac dans le pays. « S'il y va, conclut-il, c'est qu'il a une pêche considérable ! »
Quant à Rocard et Mitterrand, pour lui c'est blanc bonnet, bonnet blanc : Rocard a fait sa campagne dans l'ambiguïté, il sera obligé d'en sortir ; il sera sans doute plus fort que Mitterrand au premier tour, mais, au second, il ne bénéficiera pas des mêmes soutiens. « À peu près le même tabac » : tel est son jugement.
Et Raymond Barre dans tout cela ? Philippe Mestre ne songe même pas à me le cacher : on n'en est plus au triomphalisme de la réforme. Les objectifs sont désormais plus modestes : « Il faut essayer de tenir le coup dans une vie économique et sociale agitée. Cela nous occupe à plein temps. Pour nous, il n'y a plus de grande réforme à lancer. Le Président le fera peut-être en février ou mars prochain. Nous, nous maintenons. »
Un mot sur l'attentat de la rue Copernic : Mestre est conscient du reproche qui a été fait au Premier ministre de ne pas s'être rendu à la synagogue dès le lendemain de l'explosion. « Mais, plaide-t-il, le rabbin n'avait pas dit au ministre de l'Intérieur Christian Bonnet que, le lendemain, il y aurait un culte à Copernic. Voilà pourquoi Raymond Barre ne s'y est pas rendu. »
23 octobre, suite
Voilà que Marie-France Garaud est candidate à son tour ! Et un candidat de plus, un – ou plutôt une !... La « femme de l'ombre » désireuse d'apparaître au grand jour, quoi de plus romantique ? Avec son air altier, son chignon strict, son allure distinguée, la dame de fer française – d'un conservatisme musclé sous un enrobage de miel –, vient renforcer le clan des femmes : avec Arlette Laguiller (Lutte ouvrière), Huguette Bouchardeau (PSU), elles sont donc désormais trois à prendre le départ. Rien ne dit qu'elles iront jusqu'au bout.
Vingt-deux ans après la naissance de la V e République, le gaullisme se divise ainsi en trois courants, si tant est qu'on puisse considérer que Marie-France Garaud est gaulliste.
Pourquoi a-t-elle fait acte de candidature ? Lorsque je la lui pose au téléphone, elle répond à ma question en déclarant qu'elle se lance dans la bataille parce qu'elle juge, non sans quelque prétention, qu'elle seule peut asséner des vérités avec assez de courage.
Jacques Chirac n'a pas réagi. Mais, tout de même, cette candidature ne peut pas le laisser indifférent. Pour une raison personnelle, d'abord : Marie-France a longtemps partagé ses secrets et ses ambitions. Il a eu pour elle du sentiment, sans aller jusqu'à dire des sentiments. La voir aujourd'hui prendre le départ, d'une certaine façon contre lui,
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