Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
chance de succès ! »
François Mitterrand a choisi le bureau du général de Gaulle tandis qu'André Rousselet a pris possession de celui de Giscard. C'est une étrange atmosphère : personne n'a été mis dehors, de sorte que coexistent dans les différentes pièces, étriquées ou vastes, d'anciens partisans de Giscard et les nouveaux arrivants. Des huissiers font la tête, renâclent à porter les plis à leurs destinataires ; d'autres, au contraire, sourient aux anges. Personne n'a confiance en personne, et Jean Glavany, hier, s'est aperçu, me dit-il, qu'il dictait une note confidentielle à la secrétaire de Jean Riolacci !
François Mitterrand demande à Xavier Gouyou-Beauchamps (via André Rousselet, qui voit Jean Serisé) de présenter sa démission de la présidence de la Sofirad 32 . On va voir ce que cela donne : Mitterrand nomme Michel Caste, un homme de Michel Jobert, qui s'est rallié à Mitterrand avant le deuxième tour. La nomination de cet hurluberlu, grand amateur de femmes, au demeurant sympathique, va faire rigoler tout Paris : mais c'est le retour d'ascenseur promis à l'ancien directeur de cabinet de Georges Pompidou qui a apporté son soutien au moins tacite, depuis six mois, à François Mitterrand.
29 mai
Rencontre entre communistes et socialistes (Jean Poperen du côté socialiste, Charles Fiterman pour les communistes). En dehors de l'entrevue officielle à l'Élysée, lundi, entre Marchais et Mitterrand, c'est la première concertation entre les deux partis en vue des législatives. À l'ordre du jour, le gouvernement commun ? Lionel Jospin, hier, a fixé ses conditions : pas de gouvernement commun sans accord sur l'Afghanistan, la Pologne et les Pershing.
Je n'arrive pas à savoir ce que veulent exactement les communistes : Pierre Juquin a déclaré hier en leur nom que « les communistes soutiendraient toutes les mesures positives prises par le gouvernement ». Alors, veulent-ils soutenir sans participer ? Pourtant, ce n'est pas ce qu'ont compris les socialistes à la fin de l'entrevue. Au contraire, me dit Poperen que j'ai joint au téléphone en fin de journée, le discours du PC a été : « Comment ? Nous vous disons que notre objectif est de participer au gouvernement, et vous, vous ne nous dites pas ce que vous voulez ! »
Et Mitterrand ? Ma conviction est qu'il prendra des communistes au gouvernement s'il arrive, avant les législatives, à un accord politique avec eux. Pourtant, j'entends autour de moi beaucoup de gens qui m'assurent qu'il n'en fera rien. À droite, parce qu'on y présente Mitterrand comme quelqu'un qui ne tient pas ses promesses, qui ne pense, donc, qu'à « couillonner » les communistes ; parmi la gauche proche du Nouvel Observateur (la « deuxième gauche », comme dit Mitterrand), parce que l'idée d'un seul communiste au gouvernement lui est pratiquement intolérable.
1 er juin
Soirée inattendue à l'Élysée où le Président regarde, dans un studio de cinéma aménagé au sous-sol de la salle des fêtes, le film polonais qui vient d'être primé au Festival de Cannes, L'Homme de fer , de Wajda. Il a convié quelques amis et quelques journalistes. Déjà, il est assez drôle de regarder à ses côtés un film sur Gdansk et le PC polonais, au moment où le monde politique s'agite dans la perspective des futures élections législatives et à la veille de nouvelles consultations entre PS et PC français.
Le film dure deux heures pendant lesquelles Mitterrand ne lâche pas un mot. Le film terminé, le petit groupe remonte pour dîner, et passe par la salle du Conseil des ministres que je n'avais encore jamais visitée. Je note au passage qu'il y a trois trompe-l'œil et une colonne Vendôme en miniature entre les deux fenêtres. Il y a aussi deux bibliothèques basses sur lesquelles sont posés des ouvrages de Buffon, de Bossuet et je ne sais combien de volumes de la Sainte Bible. Pourquoi la Sainte Bible ?
À table, je suis assise à côté de Mitterrand. Je le regarde à la dérobée, m'étonnant presque que ses traits n'aient pas changé. Mais, après tout – il me le rappelle comme s'il avait surpris mon regard –, dix jours seulement se sont écoulés depuis son entrée à l'Élysée.
Il pense que les élections législatives vont être gagnées par la gauche. « Après, me dit-il, on sera tranquille pour cinq ans ! » Il n'exclut cependant pas une défaite, car, dans la phrase qui suit, il ajoute :
Weitere Kostenlose Bücher