Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
communistes, ils ont d'autant plus peur de perdre leurs 86 députés qu'ils remarquent partout, comme me le disait Leroy l'autre jour, que nombre d'électeurs communistes voteront pour les socialistes dès le premier tour. Ce qui explique sans doute que la première réunion entre socialistes et communistes, vendredi, ait tourné en eau de boudin. D'autant plus que Lionel Jospin a expliqué à ses interlocuteurs du PC qu'« il pardonnait, mais n'oubliait pas les offenses passées » !
4 juin
Avec Michel Jobert, que je vois aujourd'hui, nous parlons de la présence de ministres communistes au sein du prochain gouvernement, celui qui sera mis en place après les législatives. Il doute sérieusement que cela soit possible dans le monde tel qu'il est : « Au moindre secrétaire d'État communiste, me dit-il, le roi Khaled ferme les vannes du pétrole à la France ! »
Cette considération n'a pas empêché le PS et le PC de finir par signer, il y a quelques heures, un accord politique. Ils ne parlent pas de pacte gouvernemental : ils se contentent d'énumérer, comme dans un catalogue, leurs convergences. Et d'envisager ensemble « une majorité cohérente et durable ».
5 juin
Au Conseil des ministres, me raconte Maurice Faure, Mitterrand a sévèrement « engueulé » – c'est le mot employé par lui – Louis Le Pensec 34 , qui avait annoncé la fin de Plogoff 35 , ce qui, au surplus, n'était pas de son ressort. Il a également passé un savon à Charles Hernu, qui avait parlé, lui, de la fin du Larzac. Il n'a pas non plus épargné Maurice Faure, qui, comme garde des Sceaux, avait évoqué une réforme de la Cour de sûreté de l'État alors que Mitterrand envisage, lui, sa disparition pure et simple.
Puis Mitterrand a donné lecture d'un texte, impérial et incisif à la fois, incitant ses ministres à ne pas dépasser les bornes...
Maurice Faure annonce au cours de ce même Conseil qu'il nomme Maurice Arpaillange, magistrat, ancien directeur de campagne de Marie-France Garaud, au poste de procureur général de Paris en remplacement de Paul Sadon, épouvantail des magistrats de gauche depuis des années.
« Ah, observe Mitterrand. Le seul problème de cet homme, ce sont ses relations avec Marie-France Garaud !
– La raison qui l'a fait agir, répond Maurice Faure, plaidant sa cause, me semble bien naturelle et compréhensible : vous n'êtes pas homme à lui reprocher d'avoir cédé au charme d'une très belle femme ! »
Mitterrand sourit. Arpaillange est nommé.
Cela étant, Maurice Faure se demande s'il n'aurait pas été bien avisé de refuser la Chancellerie et de viser la présidence de la commission des affaires étrangères à l'Assemblée nationale. Le ministère de la Justice exige une présence constante. Il pensait qu'il aurait encore un peu de liberté, qu'il ne serait pas obligé d'avaler dossier sur dossier, ni dérangé la nuit parce qu'un condamné s'est échappé. Comme il est consciencieux, il a du remords à l'idée qu'il ne sera pas à la hauteur de la tâche qui l'attend, non pas sur le plan intellectuel, bien sûr, mais par son excès de scrupules. Il s'aperçoit en outre que sa vie va se trouver désormais complètement sous contrôle, sans la moindre possibilité d'aller flâner dans la campagne lotoise !
Ce qui le tourmente en réalité, c'est le projet de loi, qu'on lui demande en haut lieu de mettre au point, sur l'amnistie. Jusqu'où doit-elle s'étendre, cette amnistie ? À propos des détenus corses, par exemple (c'est à leur sujet que Maurice Faure se pose un véritable cas de conscience), peut-on faire sortir de prison aujourd'hui tous les condamnés à moins de six mois, ou à moins de deux ans de prison 36 ? Il est très hostile, en réalité, à cette amnistie qu'il juge trop large et dangereuse. Il n'a pas caché son point de vue au Conseil. Il paraît qu'il a lancé à la cantonade, c'est-à-dire à l'ensemble des ministres, sans oser poser la question publiquement à Mitterrand ou à Mauroy : « Qui voulez-vous amnistier ? Les condamnés à six mois de prison, à quinze mois, à vingt ans ? Jusqu'où voulez-vous aller ? Jusqu'aux crimes de sang ? »
Je lui conseille de ne pas rendre tout de suite son tablier. Quinze jours après la formation du gouvernement, sa réputation de dilettante en serait renforcée. Au surplus, est-il bien raisonnable, pour lui, de se couper de Mitterrand en début de septennat ?
6 juin
Dans
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