Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
le cabinet de Mitterrand coexistent, comme à Latche, les amis de toujours (Rousselet, François de Grossouvre, Paul Guimard), les jeunes loups (Jean Glavany, Michel Vauzelle), les fils ou filles d'amis disparus (Paule Dayan), sans qu'aucun lien apparent ne lie les uns aux autres. Souvent, d'ailleurs, les amis de Mitterrand ne se connaissent pas entre eux, tant il a mis de soin, jusqu'à présent, à compartimenter les différents cercles de ses proches.
Rousselet me confie ainsi, à ma stupeur, qu'il n'avait jamais vu Grossouvre avant de mettre les pieds à l'Élysée !
Tout ce monde-là est bien sympathique, mais je ne vois pas comment cela ferait un cabinet présidentiel !
9 juin
Rousselet me raconte que je ne sais qui a dit à Mitterrand au déjeuner d'hier : « Tout de même, Maurice Faure n'a pas pris de socialistes à son cabinet ! »
Mitterrand s'énerve : « Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, rétorque-t-il, Maurice Faure n'est pas socialiste. On ne peut pas me demander de mettre au gouvernement des ministres non socialistes et s'étonner ensuite qu'ils ne composent pas leurs cabinets de la même manière que les socialistes ! »
10 juin
Premier discours présidentiel de Mitterrand, qu'il a tenu à prononcer dans la commune de Suze-la-Rousse, chez son ami Henri Michel, député-maire socialiste du coin. Il s'agit d'une sorte d'adresse aux Français sur le thème : pour mener à bien la politique qu'il propose, il faut que ceux-ci lui en donnent les moyens.
Le propos n'est pas neuf : tous les présidents ont souhaité que la majorité législative soit conforme à la majorité présidentielle.
Claude Estier me l'assure : il sera président du groupe parlementaire socialiste. Mitterrand le lui a promis. Si toutefois il parvient à être élu contre Roger Chinaud dans le XVIII e arrondissement de Paris.
11 juin
Anniversaire du congrès d'Épinay. Pour le fêter, à la tribune, ceux qui, à l'époque (en 1971), croyaient en Mitterrand et ceux qui n'y croyaient pas : Michel Rocard est là aux côtés de Lionel Jospin ; Roger Fajardie, collaborateur estimé de Pierre Mauroy, voisine aujourd'hui sur l'estrade avec Pierre Bérégovoy, lequel était alors, avec Alain Savary, opposé à l'OPA de Mitterrand sur le Parti socialiste.
Jean-Pierre Chevènement, en revanche, n'est pas là. Une bonne langue me dit qu'il est furieux de son ministère de la Recherche et trouve trop étriquées ses attributions.
Roger Fajardie, que je rencontre à cette occasion, me raconte que les mollétistes n'ont jamais pardonné à Mauroy son attitude au congrès d'Épinay, précisément. Il me décrit l'enterrement de Guy Mollet en 1975 : Ernest Cazelles, qui était en quelque sorte l'exécuteur testamentaire du patron de la SFIO, fit savoir à Mauroy et à Fajardie lui-même que leur présence n'était pas souhaitée à la cérémonie.
Il me cite la fameuse phrase qui, au congrès de Metz, servit à tous les mollétistes pour condamner Mauroy et voter Mitterrand contre Rocard : « Mitterrand est un adversaire, mais Mauroy est un traître : nous préférons l'adversaire ! »
12 juin
De ce « Grand Jury 37 » qui nous a amenés en Corrèze pour interviewer Jacques Chirac, je retiendrai surtout que celui-ci n'a pas l'air le moins du monde atteint par le procès que lui font aujourd'hui les giscardiens. De toute façon, il est ici chez lui et nous fait les honneurs de son département : présentation au maire de Meymac, un de ses supporters, visite des maisons du village corrézien, nourriture abondante fournie aimablement à la dizaine de membres du « Grand Jury » mobilisés pour le mettre sur le gril : rien ne manque à la réception.
Nous enregistrons l'émission dans une salle de la mairie de Meymac. Dehors, à quelques mètres de nous, un camion de pompiers dont l'alarme se déclenche bruyamment au moment où Chirac s'apprête à répondre à la première question. Le pin-pon recouvre sa voix : impossible d'arrêter, nous sommes en direct. Je ne saurai jamais si les pompiers de Meymac manifestaient ou non, de cette façon, leur hostilité à Jacques Chirac. Toujours est-il qu'un de ses collaborateurs bondit pour leur intimer l'ordre de faire taire leur bazar !
L'émission continue sans autre incident. Nous posons toutes les questions qu'il faut sur l'avenir : que se passera-t-il si, comme Chirac le souhaite, la majorité législative n'est pas la même que la
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