Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
pas fait ce qu'il fallait dans ces cas-là : nous n'avons pas lâché le moindre petit avantage à nos électeurs. Bref, nous avons péché par excès de confiance.
– D'autant, ajoute Pierre Mauroy, que nous avons eu une sacrée série noire : le franc, par exemple... »
François Mitterrand ne lui cache pas que le gouvernement a aussi commis des « maladresses ». Je suis formelle : il n'a pas dit « erreurs », il a dit « maladresses ». Il fait allusion, bien sûr, à la lenteur des réformes sociales, à la difficulté de mise en place des nombreuses allocations de toute nature (orphelins, deuxième enfant, dernier enfant, agriculteurs) promises pendant la campagne électorale et pas encore traduites dans les textes, encore moins dans les faits.
La conclusion de Mitterrand est qu'il faut hâter la réforme de l'audiovisuel, « car sinon, dit-il à l'adresse de Jérôme Clément – en réalité, c'est à Mauroy, dont Clément est le conseiller, qu'il parle –, vous ne serez plus au pouvoir. Si on commence à dire que le gouvernement n'a pas d'autorité, qu'il flotte sur tout, vous ne serez pas longtemps au pouvoir. Vous l'aurez perdu : vous, pas moi. Moi, je resterai. Vous, pas : vous serez bien avancé, après ! ».
Pour cela, il préconise d'avancer la loi : Fillioud répond qu'il fait ce qu'il peut pour aller vite. Les choses ne vont pas de soi. Mitterrand insiste. On dégagera l'argent et les budgets nécessaires. Il faut presser le mouvement, car il y a, dit-il, un problème de calendrier : « Réfléchissez, il faut aller vite, car en janvier prochain auront lieu les municipales. Nous n'allons pas risquer de grands bouleversements en décembre, à quelques semaines des élections. »
Georges Fillioud lui dit que la loi est prête, qu'elle compte une centaine d'articles. Mitterrand l'interrompt : « Cent articles ? Mais vous êtes fou, c'est beaucoup trop : trouvez le moyen de condenser tout cela ! »
Il (le Président) prévoit neuf membres pour la Haute Autorité, conformément au précédent du Conseil constitutionnel dont le mode de nomination ne fait plus problème.
À plus long terme, il ne cache pas son pessimisme. Il dit à Mauroy : « C'est une question de vie ou de mort. » Il ajoute : « Le fascisme est là. Je le reconnais : j'avais 18 ans en 1934. Aujourd'hui, c'est la même chose. Et Chirac est très organisé. D'autant qu'il a parfaitement réparti les rôles : sur tous les sujets, il a un Bernard Pons ou un Charles Pasqua qui attaque. Et lui se donne les gants de dire : je n'attaque pas les hommes, j'attaque les idées...
« Remarquez – ajoute-t-il avec gaîté, une gaîté subitement retrouvée – qu'il a déjà fait ça avec Giscard. C'est même pour cela que nous sommes là aujourd'hui ! »
Parmi les « maladresses », il cite celle de Laurent Fabius parlant en Conseil des ministres du découvert budgétaire dix jours avant le premier tour. Il en profite pour dire : « Notez que si personne ne racontait le Conseil des ministres, si nous étions entre gens sérieux, cela ne se produirait pas !
– Oui, lui dis-je, nous avons tous, journalistes ou pas, tendance à penser que le Conseil des ministres, c'est la même chose qu'un comité directeur du PS, une assemblée de bavards. »
Dernière conclusion à laquelle il arrive : il faut se garder de la presse écrite, qui est dans sa majorité hostile au gouvernement. Et créer de nouveaux médias, de nouvelles radios, de nouvelles télévisions locales.
Tout cela a été précédé, tandis que dans la bibliothèque de l'Élysée nous attendions Mitterrand avant le dîner, d'une conversation entre Rousselet, Mauroy, Clément, Fillioud et moi, où je dis tout le mal que je pense à ce stade de la réforme de l'audiovisuel. Ou bien la loi donne tous les pouvoirs à la Haute Autorité, et, dans ce cas, les P-DG des différentes chaînes ne sont que des directeurs généraux et la Haute Autorité devient l'équivalent du Board des directeurs de la BBC ; ou bien elle n'a pas le pouvoir exécutif, et alors il faut qu'elle n'ait pas non plus le pouvoir de nomination, mais qu'elle se contente d'un pouvoir de contrôle.
Georges Fillioud me réplique que je suis trop « impliquée » dans mon rôle pour en parler sereinement. Entre nous, on peut dire que la communication ne passe pas.
J'oubliais notre échange avec Mitterrand sur les journalistes communistes. Certains, au sein
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