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Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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ambiance confuse au sein du gouvernement. Mauroy n'y a pas que des amis. Pierre Joxe, pour ne citer que lui, mène un véritable combat contre Matignon : il met en cause la lenteur du Premier ministre à mettre en œuvre les réformes sociales, le trouve long à la détente, manquant d'énergie. Il ne perd pas, c'est du moins ce qu'on me rapporte, une occasion de le dire à Mitterrand. Celui-ci l'écoute, semble sans doute lui donner raison, et n'en dit pas un mot à Mauroy. De toute façon, voilà longtemps que Pierre Mauroy connaît les réticences de Pierre Joxe à son endroit. Il n'en est même pas fâché. Il pense sincèrement que la démocratie implique qu'il y ait des débats à l'intérieur du gouvernement entre les ministres.
    Les frictions, effectivement, ne manquent pas : la presse et les Français, du coup, parlent de désordre. Je ressens, moi, une sorte de mélange quotidien d'intolérance et de laxisme.
    Je lutte, à ma place, celle où Mitterrand m'a mise, en me demandant ce que je fais de ma vie, ce que la gauche fait de son histoire. Et ce que l'audiovisuel fait de lui-même.

    21 mars
    Deuxième tour des cantonales.
    Maison de la Radio à Paris. Il est évident, au fur et à mesure que se déroule la soirée 3 , que ce scrutin n'est pas un succès pour la gauche. Je prends note des départements qui passeront à l'opposition : l'Eure, la Côte-d'Or, la Haute-Saône, celui de Meurthe-et-Moselle. Ils sont une dizaine environ. Ces élections ne sont certes que partielles, elles ne sont pas nationales. Elles n'ont donc pas l'importance de législatives ou de présidentielles. Et pourtant, ce soir, les gens qui m'entourent, journalistes ou politiques qui commentent le scrutin, parlent pratiquement de l'illégitimité de la gauche au bout de moins d'un an de pouvoir !
    Suis-je paranoïaque ? Il me semble qu'hormis ceux des amis, les visages autour de moi changent. Ceux qui m'ont acceptée parce que Mitterrand avait gagné se demandent – je lis dans leur tête – combien de temps il me reste. C'est la grande différence avec ma vie d'avant. Avant, je ne devais mon sort qu'à moi-même : je pouvais changer de journal si je le voulais, et je ne m'en suis d'ailleurs pas privée. Je pouvais être sanctionnée pour une bêtise, ou un ratage, ou un mauvais éditorial. Mais je ne devais mon salut qu'à moi. Nommée par le pouvoir politique à la présidence de Radio France, je ne dois mon salut qu'à lui. J'aurais dû y penser davantage. Et avant... Trop tard.
    Ce qui est compromis, d'ores et déjà, j'en mettrais ma main au feu, c'est la marche vers la décentralisation. Donner le pouvoir à des régions quand celles-ci sont dans l'opposition relèverait, pour un gouvernement, du suicide.

    22 mars
    L'angoisse me gagne sans que j'y puisse rien.
    Une gauche qui me déçoit de jour en jour, reprise par ses démons ancestraux.
    Des amis (Paul Granet, Jacques Toubon) avec lesquels le dialogue tourne à vide, parce qu'ils sont pour la première fois de l'« autre bord ».
    Un dialogue politique qui se tend, et moi-même qui me « radicalise » au-dedans.
    Un boulot terrible, coincée que je suis entre les syndicats et la droite, l'administration et les saltimbanques, les journalistes et les gestionnaires, les ringards et les mauvais professionnels, les stars de la radio et les sans-grade.
    Je découvre la haine des uns, la haine des autres, la connerie de beaucoup. J'emmerde ceux qui se croient détenteurs du monopole de la Culture, de la Création, les gens péremptoires, que dis-je, la multitude des péremptoires, les sectaires, les pauvres types, ceux qui font la loi et ceux qui la défont, ceux qui méprisent les autres sous prétexte de faire leur bonheur malgré eux.
    Amis perdus ou au pouvoir, ennemis gagnés et désireux de revenir aux affaires, amis-ennemis dont je ne sais plus où ils sont, sinon ligués contre moi.

    26 mars, minuit quarante-cinq
    Extraordinaire dîner avec Mitterrand. Historiquement, un des plus intéressants depuis que je le connais. Intéressant, à défaut d'être enthousiasmant.
    Nous sommes donc à l'Élysée après le deuxième tour des cantonales perdues par la gauche. Essayons de prendre les problèmes les uns après les autres pour mieux me remémorer les expressions de Mitterrand.
    Il y a là Mauroy, Rousselet, Fillioud, Jérôme Clément et moi. L'analyse du Président est celle-ci :
    « Nous avons, dit-il, sous-estimé les cantonales. Nous n'avons donc

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