Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
assurer la diffusion faute d'un relais mobile qui doit être perché très haut, donc sur une grue. Où est donc passée cette satanée grue ? Quelque part sur la route qui mène à Latche ? On ne l'y trouve pas. Et le camion qui transporte la grue ? Même disparition.
C'est une erreur grave, évidemment, du jamais vu pour une interview présidentielle. La direction de l'information d'Antenne 2, gênée, c'est peu dire, fait une annonce au journal de 13 heures, au moment prévu pour la diffusion de l'entretien avec le Président, et assure que l'émission est reportée au jour suivant.
Sur le moment, Mitterrand a avalé le contretemps avec gentillesse, il a accepté les excuses de Pierre Lescure et il a même retenu à déjeuner toute l'équipe de télévision. Cela ne l'empêche pas d'appeler Georges Fillioud en fin d'après-midi pour lui signaler les faits, demander une enquête sur cette incroyable bourde professionnelle et réclamer le limogeage de l'actuel président de TDF, Maurice Rémy.
Inutile de dire que ni la Haute Autorité, qui ne nomme pas le président de TDF, ni Pierre Desgraupes, ni Georges Fillioud n'y sont pour rien. Enquête faite : la grue, nécessaire pour la transmission du message de bonne année de François Mitterrand, n'est pas arrivée à temps. On a retrouvé le camion qui la transportait... à Nancy !
J'imagine sans peine la fureur de Mitterrand contre nous tous, des incapables, des moins que rien !
Je lui téléphone dans l'après-midi. Quoique je ne sois responsable de rien, je lui présente mes excuses au nom de tout l'Audiovisuel. Il me répond qu'il sait très bien qu'effectivement, je n'y suis pour rien. Ce qui ne l'empêche pas de décocher quelques phrases acides sur l'efficacité du service public. Assorties, avec ce soupçon de sadisme dont il a le secret, de considérations sur la bonne marche de cet audiovisuel dont je suis, de par la loi, la « clef de voûte ».
Je le sens, il en veut à Pierre Desgraupes qui ne l'a pas même appelé. J'essaie d'expliquer que Desgraupes n'est pas plus responsable de cette erreur technique que moi. Il n'empêche : ses excuses auraient été bienvenues. Je comprends que Mitterrand n'est pas homme à pardonner une contre-performance qui a pris de court – ou même fait carrément rigoler – une bonne partie des Français.
Desgraupes n'était pas à Paris. Il m'appelle le 3 au matin. Je lui conseille, s'il ne l'a pas déjà fait, de passer un coup de téléphone à Latche.
« Non, je ne lui ai pas téléphoné, je n'allais pas le déranger pour cela, grommelle Desgraupes. D'autant que je n'y suis pour rien. Si j'avais été le premier responsable, j'aurais été le premier à l'appeler. J'ai pensé que lui téléphoner revenait à reconnaître ma culpabilité. Or, je n'en ai aucune !
« Et puis, conclut-il, je n'ai jamais de ma vie appelé un président de la République sur son lieu de vacances, un 1 er janvier au matin ! »
Sa réaction m'étonne. Je la comprends pourtant assez vite : Desgraupes est entré à la télévision sous de Gaulle, dans la première et unique chaîne qui existait. À l'époque, on ne dérangeait pas le général de Gaulle pour une grue.
Plus tard, dans les années 1970, nommé par Chaban-Delmas, il n'a eu affaire qu'au Premier ministre ou à son cabinet, jamais à l'Élysée où Marie-France Garaud et Pierre Juillet réclamaient à cor et à cri son départ, tandis que Chaban faisait mine de ne pas les entendre.
En 1983, il est dans les mêmes dispositions : on ne dérange pas pour rien un président de la République. On s'en tient même le plus loin possible.
Humilité ? Indifférence ? Mépris ? Autour de François Mitterrand, ses proches chargent la barque. Ils jugent que c'est bel et bien du mépris.
Mauroy, Fillioud et moi comprenons la psychologie de Desgraupes. Nous plaidons sa cause. Sans succès.
4 janvier
Le bruit que fait cette histoire de grue est incroyable. Comme personne n'y comprend rien, comme personne n'arrive à croire que TDF n'ait pas mieux préparé l'intervention d'un président de la République, la non-présence de la grue à Latche, le 1 er janvier, fait couler des hectolitres d'encre. Sabotage ! disent les uns. Incompétence ! disent les autres. Le plus clair est que les jours de Maurice Rémy, président de TDF, sont comptés.
7 janvier
Quelques mots sur l'expérience que je vis. Premier et rapide bilan de la Haute Autorité : que
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