Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
joint avec difficulté Mitterrand, en déplacement en Yougoslavie. Il me rappelle pour me dire que la loi m'y autorise : nous pouvons garder Desgraupes à son poste.
De peur que quelqu'un, dans la chaîne des interventions de l'exécutif, ne change d'avis, et considérant que je n'ai pas à rappeler le président de la République, je me hâte de donner à l'AFP, pendue au bout du fil, l'information que Pierre Desgraupes achèvera en 1985, comme convenu, le mandat de trois ans que lui a confié la Haute Autorité en 1982 16 .
Patatras !
Mitterrand me fait appeler vendredi en fin d'après-midi, toujours de Yougoslavie, par Attali. Visiblement, personne ne sait là-bas que le maintien de Desgraupes a été annoncé à l'intéressé d'abord, à la presse ensuite.
Je dis à Attali, avec le soulagement de quelqu'un qui s'est sorti d'une situation difficile : « Alors, tout est bien qui finit bien. As-tu lu notre communiqué ? »
Suffoqué, glacial, il me dit : « Je rappelle ! »
Rien.
Un téléphoniste de l'Élysée me prévient un peu plus tard que j'ai à être chez moi à 20 heures pour y attendre un appel du Président. Rien.
Le lendemain, à peine a-t-il atterri qu'il me téléphone. Quelle engueulade ! « Vous avez eu tort, vous serez démentie par les faits, et gravement ! » Et le reste à l'avenant.
Je dis : « Vous pensiez bien que si la consultation juridique de Nicolay et de Kahn avait été autre, si je n'en avais pas eu la confirmation par Pierre Mauroy lui-même, je n'aurais pas balancé ce communiqué avec autant de certitude de ne pas être démentie par le Conseil d'État. Mauroy m'a donné son feu vert juridique, je m'en suis tenue là !
– Vous n'auriez pas dû, conclut Mitterrand. Personne d'autre que moi ne pouvait vous le donner ! »
Je ne peux m'empêcher de penser que ce qui est fait est fait. Nous voilà débarrassés du problème jusqu'à la fin du mandat de Desgraupes, ouf !
Je rappelle tout de même Pierre Mauroy et Georges Fillioud qui en sont tous deux sur le cul ! Mitterrand a-t-il changé d'avis à Belgrade ? Nous ne le saurons jamais. Pas davantage le Premier ministre et le ministre de la Communication que moi.
Nous convenons tous trois de faire le gros dos et d'attendre la fin de l'orage.
À ce moment du récit que je fais de ces jours de crise, je dois être honnête. Quelqu'un, récemment, dans l'entourage de Mitterrand – je cache son nom, même ici 17 – m'a dit : « Mais qu'est-ce que tu en as à foutre, de Desgraupes ? Ce n'est ni ton ami ni ton amant ! »
C'est vrai. Desgraupes n'a pas de réelle amitié pour moi. Il m'a connue jeune journaliste, puisque c'est lui qui me confia le premier reportage télévisé sur Jacques Chirac, en 1970. Il me reconnaît comme une professionnelle, placée à la tête de la Haute Autorité. Cela ne lui déplaît pas, il s'en fiche. D'ailleurs, lorsque j'essaie d'harmoniser les programmes d'Antenne 2 avec ceux de TF1 – comme la loi de 1982 en confie le soin à la Haute Autorité –, il ne cache pas son irritation à voir quelqu'un d'autre que lui intervenir dans la marche de sa chaîne.
Il ne comprend pas ou affecte de ne pas comprendre comment son sort pourrait être suspendu à une décision de la Haute Autorité. Il ne me sait même pas gré de mon intervention, tant il est persuadé que sa réussite et son talent de professionnel suffisent à le faire reconnaître en haut lieu. D'ailleurs, ses collaborateurs, et surtout le tout jeune conseiller juridique d'Antenne 2, Philippe Belingard, le tiennent peu au courant des consultations qu'ils demandent à des agrégés connus, comme le professeur Ribero, pour soutenir éventuellement une controverse juridique avec le Conseil d'État sur le terme légal du mandat du président d'Antenne 2.
Alors, pourquoi m'acharner ? Il m'arrive de me le demander avec découragement. Je crois que je sais pourquoi : la Haute Autorité, déjà ébranlée, à tort, par la nomination d'Hervé Bourges à l'été, volerait en éclats si ses membres – surtout les trois d'entre eux qui y représentent l'opposition – devaient entériner une éviction politique de Pierre Desgraupes.
Si la loi imposait son départ, ils s'y seraient évidemment soumis. Si c'était le fait du Prince, ils auraient tôt fait de m'offrir leur démission, faisant ainsi exploser un organisme indépendant dont ils démontreraient alors qu'il ne l'est pas.
Je suis certaine que
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