Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
arrivent en Europe. Les sociaux-démocrates allemands, dans l'opposition 12 , ont dit non à leur installation en Allemagne. Mitterrand, lui, dit oui.
6 décembre
Desgraupes a 65 ans dans treize jours. Dans l'esprit de François Mitterrand – sauf lorsqu'il est concerné –, 65 ans est un bon âge pour la retraite. Il fera jouer, il m'en prévient, cet argument irréfutable, et sans discussion possible.
Les juristes que consultent Desgraupes et ses conseillers ne savent toutefois pas si la loi de 1972 13 s'appliquera à son cas : Desgraupes ayant été nommé pour trois ans en 1982, son mandat doit-il être interrompu dès ses 65 ans, c'est-à-dire un an après sa désignation par la Haute Autorité, ou peut-il durer jusqu'à l'expiration du mandat qui lui a été confié ?
Inutile attente dont je ne peux parler officiellement dans nos réunions de la Haute Autorité. Nous faisons entre nous comme si le mandat de Desgraupes devait aller jusqu'à son terme.
Pourtant, je sais – cela remonte de tous côtés, mais Mitterrand ne m'en parle même plus, malgré la lettre que je lui ai envoyée à l'automne – que l'Élysée attend impatiemment le départ de Desgraupes.
Je ne comprends pas : les problèmes de TF1 sont réglés avec Bourges qui a pris les choses en main et mène sa barque avec habileté, navigant entre les récifs, précautionneux avec la majorité, ouvert à l'opposition. Celle-ci, en tout cas, ne se plaint pas à nous de mauvais traitements.
Antenne 2 est une chaîne bien organisée, avec une équipe dirigeante solidaire et efficace. Là non plus, pas de problème majeur, et un indice de satisfaction des téléspectateurs en hausse.
L'audiovisuel français marche bien, ou du moins pas trop mal. Mieux, en tout cas, que lorsque la Haute Autorité a été créée.
Pourquoi aller déclencher la tempête dans un univers calme ? Pourquoi remplacerait-on un président de chaîne qui, de l'avis général, réussit dans sa mission ?
Parce qu'on n'a pas encore pardonné l'affaire de la grue de Latche ? Parce que la présentatrice du journal de 20 heures sur Antenne 2, Christine Ockrent, lui semble mal disposée à l'égard du pouvoir socialiste ? Parce que, paraît-il, au moment de l'affaire de l'Observatoire, il y a un siècle, Desgraupes a écrit un ou deux articles qui ont déplu à Mitterrand ? Ou par simple caprice du président de la République ?
Il y a, dans cette bataille anti-Desgraupes, quelque chose de dérisoire. Il n'est partout question que de missiles, de crise internationale, d'une éventuelle nouvelle guerre froide entre l'Est et l'Ouest, et voici que le maintien de Desgraupes à son poste pose un problème politique de première grandeur ! On croit rêver, vraiment !
Je ne m'y fais pas.
22 décembre
Je rédige vite, à mon usage, l'histoire de ces derniers quinze jours, la chronique de l'affaire Desgraupes.
Flou total, donc, avec Mitterrand depuis ma lettre de septembre ou d'octobre. Il m'invite à déjeuner, le 9 décembre, avec Hélène Cixous, brune et anguleuse, Jean-Pierre Faye, pour une fois presque intimidé, et Kathleen Even, aiguë et attentive.
Le déjeuner à peine terminé, Mitterrand me retient longuement. Il se montre disert, chaleureux.
En sortant, de peur d'oublier, je couche noir sur blanc, dans la voiture, sur quelques feuilles volantes (je savais que je ne pourrai prendre de notes devant lui, et n'avais donc pas pris ce carnet), un rapide résumé de notre échange, car c'en a été un :
FM : « Je n'ai rien contre Desgraupes. Si la loi le permet, je ne ferai pas obstacle à son maintien. J'ai beaucoup de considération pour lui, etc.
Moi : Si vous le faisiez, je vous assure que ce serait une erreur. Il est de mon devoir de vous l'éviter.
FM : Ça, ne me sortez pas d'argument de ce genre. Je n'y crois pas un instant. Vous faites cela pour vous, pour votre image, ce que vous appelez l'image de la Haute Autorité, voilà tout. Inutile d'essayer de me raconter des histoires !
Moi : Ne déstabilisez pas l'audiovisuel : les sondages montrent qu'Antenne 2 domine TF1, que Desgraupes a réussi.
FM : Ça, c'est injuste pour TF1 ! »
Suit une discussion sur les programmes de TF1 :
FM : « Je regarde les programmes de TF1, je trouve cela pas mauvais du tout. »
Et il décline plusieurs phrases de ce genre.
« Nous ne pouvons pas rester dans cette indécision », dis-je, ignorant si le gouvernement va vouloir et
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