Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Miyet.
À partir de là, les choses ont été vite : Jeanneney à Radio France, Jacques Vistel à RFO, et, comme convenu, sans surprise, Bertrand Labrusse est resté président de la SFP.
Ouf, c'est terminé pour aujourd'hui ! Et pour les trois ans à venir. Et aussi pour moi, nommée de toute façon jusqu'au mois d'août 1988.
Sans parler de la façon dont nous serons mangés ou pas par l'opposition, en mars prochain, si, comme prévu, elle gagne.
17 octobre
J'ai été réveillée à 5 h 10, ce matin, par un coup de téléphone du ministère de l'Intérieur. Dans la nuit, l'immeuble de la Haute Autorité, avenue Raymond-Poincaré, a été plastiqué. Lorsque j'arrive sur les lieux, vers 5 h 30, je retrouve Pierre Joxe et le préfet de Paris qui l'accompagne.
Qui a voulu attenter à la Haute Autorité ? Quel sens cela a-t-il ? Ce n'est quand même pas un candidat malheureux à la présidence d'une chaîne ! L'entrée et les vestibules sont partiellement détruits, bien que ce soit surtout l'immeuble voisin, occupé par les services de la Côte d'Ivoire à Paris, qui a souffert le plus.
Je sais bien que l'opposition menace régulièrement de faire disparaître notre Autorité, ou de la changer, je sais que la majorité ne l'aime plus guère aujourd'hui : de là à la faire sauter ! Pierre Joxe, à qui je dis cela, au milieu des gravats, sourit. On n'en saura pas davantage : pas de revendications, pas de motifs ; l'enquête, me dit Joxe lui-même, n'ira pas bien loin.
20 octobre
En gros, l'accueil a été plutôt bon. De nature à faire oublier celui qui avait été réservé à nos nominations de l'année dernière. Le Monde a approuvé la « logique professionnelle ». Libération a décerné un satisfecit : « Cette fois-ci, la H.A. n'a pas commis de faux pas... et a reconquis une crédibilité dont la future majorité devra tenir compte. » Le Figaro lui-même, qui ne m'a pas épargnée depuis trois ans, écrit que la Haute Autorité a donné une « leçon de cohabitation ». Le Matin , grinçant, estime que « la Haute Autorité vient de réaliser une belle opération de marketing politique dans un lifting que lui envierait beaucoup de monde ». Tandis que Le Quotidien de Paris pense que « pour la première fois depuis sa création, la Haute Autorité l'emporte haut la main. Elle justifie son existence ».
17 novembre
Disons les choses comme elles sont : je ne suis pas sûre que cette bataille pour l'indépendance ait été une si bonne chose pour la Haute Autorité. Parce que si personne n'a officiellement rien dit au sommet de l'État, je sais que, pour certains – pour Attali, par exemple, ou même pour Rousselet, qui, aujourd'hui président de Canal +, suit les choses d'un peu plus loin –, la nomination de Drucker apparaît comme une provocation, ce qui est un comble pour quelqu'un de si peu provocateur ! Ils en tirent la conclusion que je veux, sous prétexte d'assurer la survie de la Haute Autorité pendant une éventuelle cohabitation, tirer mon épingle du jeu et aller voir si les choses sont plus belles du côté de l'opposition.
Je pense à ce que m'a dit Maurice Faure juste avant la désignation des présidents, il y a quelques semaines : « Attention, tu peux bien sûr affirmer l'indépendance de la Haute Autorité en faisant élire un autre qu'Héberlé à la présidence d'Antenne 2. Mais la Haute Autorité sera alors tirée à vue. Transigez, et vous serez sauvés ! Si vous nommez quelqu'un d'autre, je gage que tôt ou tard la Haute Autorité sera descendue. »
Il avait raison. Mes amis politiques pensent qu'ils ont été trahis, et l'opposition ne pense de toute façon qu'à supprimer la Haute Autorité.
Ce qui se fera sans difficulté : je vois bien qu'à partir de maintenant, les grandes décisions (attributions des fréquences de télé, etc.) ne passent plus par nous. Nous étions déjà écartés en début d'année. Maintenant, c'est pire encore.
Cela n'a pas que des inconvénients . Au milieu des bagarres commerciales qui se profilent, et des réactions qu'elles suscitent chez nos amis les « créateurs », la Haute Autorité, à laquelle le gouvernement n'a pas demandé son avis, apparaît comme un havre pour tous ceux qui s'élèvent, à l'instar de Jack Lang ou de Bertrand Tavernier, contre les coupures publicitaires et les paillettes berlusconiennes. Avec mes collègues, je me paie tout de même le luxe de condamner en termes
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