Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
ne sais pourquoi. Son discours aux économistes était pourtant très bon, mais j'ai moins aimé celui qu'il a adressé aux intellectuels, car j'ai trouvé qu'il prononçait des phrases banales sur un ton pompeux. Il est inestimable dans le Café du commerce de luxe !
Sur le plan intérieur, le voyage a été dominé, paradoxalement, par Jacques Chirac. Pourquoi ? Parce que, profitant de ce que Giscard avait le dos tourné, il a réclamé la convocation du Parlement en session extraordinaire pour un débat sur les problèmes industriels et sociaux. A suivi un flottement inouï de la part de Giscard : dans un premier temps, il a pratiquement accepté l'initiative de Chirac – si les conditions sont requises, pas de problème pour la réunion ! Dans un deuxième temps, il s'est ravisé. Il a estimé qu'il n'était pas convenable de répondre à la proposition de Chirac depuis le Mexique. Quelques instants plus tard, Pierre Hunt a donc rendu public le communiqué élyséen, assorti d'un commentaire qui – contrairement à ce même communiqué, qui dit qu'il ne dira rien – rappelle que la tradition républicaine interdit à la Chambre de se réunir pendant la campagne électorale, donc jusqu'après le deuxième tour des cantonales.
Nous sommes alors le jeudi. L'étonnant est que, rentrant à Paris le dimanche, Giscard ne dira plus un mot de la tradition républicaine. (Ni Pierre Hunt, d'ailleurs, le lundi. Allez savoir...) L'Assemblée sera donc convoquée en session extraordinaire.
Alain Peyrefitte, qui était du voyage au Mexique, analyse pour moi le comportement de Jacques Chirac dans cette affaire de convocation extraordinaire du Parlement, comme en d'autres. Depuis qu'il a dénoncé l'appel de Cochin dans une lettre aux parlementaires gaullistes, Peyrefitte est la cible de toutes les attaques de Pierre Juillet et de Marie-France Garaud 14 . Et il ne doit pas être non plus dans le cœur de Chirac. Cela l'incite à prendre ses distances vis-à-vis de lui.
« Chirac, dit-il, s'arroge toujours l'initiative : il est le plus opérationnel, parce qu'il a les gens par surprise. C'est Bonaparte au combat ! Son comportement présente des avantages, notamment celui du contre-pied. Il a toujours un instant d'avance. Cela produit quelques jolis effets », ajoute Peyrefitte. Pour lui, évidemment, ces effets sont néanmoins dommageables au plus haut point pour le RPR.
Dans l'avion où il était assis aux côtés du Président, Alain Peyrefitte a confié à Giscard qu'il risquait d'être exclu du RPR pour avoir envoyé aux parlementaires gaullistes, en décembre dernier, cette lettre où il désavouait l'appel de Cochin. Exclu ? Oui, car il vient d'être convoqué par le président de la commission des conflits du RPR, a indiqué Peyrefitte. Pourquoi maintenant ? Selon lui, la brusque aggravation de la situation sociale en France a fait craindre à Jacques Chirac que Raymond Barre ne soit contraint de partir et que ce soit lui, Peyrefitte, qui le remplace à Matignon. D'où la nécessité de l'exclure – ou de menacer de l'exclure – avant son éventuelle nomination. « Il fallait me faire sauter avant, conclut-il, et donc réactiver la procédure de la commission des conflits. »
Pendant ce temps-là, Chirac a rameuté sur les problèmes industriels français les communistes et les socialistes. Tout cela dans un climat social lourd où les problèmes de la métallurgie – « les hauts fourneaux de la colère » – lancent un peu partout des milliers de personnes dans les rues, dans l'Est et le Nord. Le spectre de Longwy est obsédant pour tous, à droite comme à gauche où l'on sait bien que l'avenir économique de la France ne passera pas par les mines.
5 mars
Lundi soir, Raymond Barre, sur Antenne 2, a fait front : attaqué pour son immodestie, présenté même comme un Premier ministre en sursis, il est dénoncé par les uns pour sa « fausse rigueur », par les autres pour sa « superbe indifférence ». À le voir à l'écran, on devine qu'il aime l'adversité, Raymond Barre : il en est tout ragaillardi. Il ne s'est pas trop mal défendu, en bon professeur s'adressant du haut de la tribune à des élèves turbulents. Il comprend la fureur et le désarroi des sidérurgistes tout en stigmatisant ceux qui, politiquement, exploitent la situation : selon lui, les problèmes sociaux sont essentiellement dus à l'« agitation conjointe de ceux qui n'étaient pas d'accord sur
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