Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
suite, nous renvoyant à son intervention, mais, en quelques phrases, il nous indique qu'on aurait tort d'en attendre trop. Il ne se fait visiblement guère d'illusions sur ce qu'il peut escompter de Chirac !
Ce qui l'amuse au plus haut point, c'est d'être obligé, de par la loi, de fixer la session du Parlement au moins douze jours avant le 2 avril, date retenue pour la rentrée du Parlement. Le débat aura donc lieu pendant la campagne pour les élections cantonales. Il rigole : « Les députés seront coincés en séance au lieu de rencontrer leurs électeurs ; ils n'auront qu'à s'en prendre à eux-mêmes ! »
Un détour dans cette conversation, que je résume trop rapidement, par les problèmes internationaux. Jimmy Carter ? Il ne comprend rien, a été dépassé par les événements d'Iran. L'URSS ? Il s'est mis dans une situation ridicule avec le Congrès américain 15 .
L'Angleterre ? Il est possible qu'elle quitte le Marché commun dès lors que l'Espagne et la Grèce y entreraient. « Les Anglais, nous dit-il, freinent sur tous les terrains la construction de l'Europe ! »
Il revient vite aux problèmes économiques et à l'agitation sociale, d'une façon que je trouve plus ferme – je veux dire plus sociale – que Raymond Barre : « Il n'y aura plus jamais de Longwy, nous dit-il ; c'est plus que la société française ne pourrait en supporter. Même chose pour les chantiers navals. Cela fait vingt ans qu'on soutient les chantiers navals, eh bien, on va continuer deux ans de plus ! »
D'autant, ajoute-t-il, que les conflits structurels, les lourdes reconversions industrielles sont progressivement en voie d'extinction. De toute façon, on le sent à la manière dont il en parle, il déteste les conflits frontaux. Voir les ouvriers lorrains défiler dans le froid et la neige, à la lueur des hauts fourneaux, pour affirmer qu'ils veulent « rester au pays » lui a été véritablement difficile à supporter.
Il ne cache pas que beaucoup de choses ont certes été mal menées : l'affaire de la SFP 16 , celle de la sidérurgie par exemple. Il est néanmoins content de la prestation du Premier ministre, l'avant-veille, qu'il a regardée intégralement depuis ses appartements élyséens. À une nuance près : « Il devait dire, comme je vous l'ai indiqué : “Il n'y aura pas d'autre Longwy.” Il ne l'a pas dit avec assez de netteté. Il est vrai qu'à la télévision, surtout quand on n'a pas l'habitude, on se déconcentre assez facilement ! »
Deuxième information importante, au cours de cet entretien : rien, dans le discours qu'il devrait prononcer sur l'Europe, à Strasbourg, en mai, ne permettra de choisir entre l'UDF et le PS : « Je dirai simplement qu'il faut voter pour des Européens qui veulent faire avancer l'Europe à leur rythme et dans leur sens. » Il n'en fera donc en aucun cas une affaire de politique intérieure. Tout en en tirant les enseignements. Il ne voit apparemment à la situation actuelle que des avantages : le PS, parie-t-il, obtiendra autour de 30 % des voix, ce qui accentuera son avance sur le PC. Et l'UDF, avec dans les 25 %, devancera largement le RPR, ce qui montrera que l'Assemblée nationale actuelle ne reflète pas la réalité de la majorité.
Toujours cette question essentielle qui est celle de son septennat : Giscard gouverne sans majorité.
12 mars
Colloque de l'Union des étudiants communistes à Villetaneuse, jolie escale sur la route du prochain XXIII e Congrès du PC...
Décidément, en ces jours de mars, tous les partis politiques sans exception – hormis peut-être l'UDF – sont traversés de doutes, de remous, de contestations. Au PS, c'est la bagarre en vue du congrès de mars. Au RPR, la politique de Chirac est contestée. Et l'opposition à Georges Marchais se renforce sans arrêt parmi les oppositionnels communistes.
Ils sont donc tous là, ou à peu près, à Villetaneuse. J'entends des nouveaux venus dans la vie politique, issus de la fédération de Marseille ou de Seine-Saint-Denis et qui ne se sont jamais exprimés auparavant. Ou d'anciens dirigeants des mouvements de jeunesse communistes qui, à cette occasion, reprennent la parole. Le climat général est morose : aucun des intervenants présents ne croit possible d'infléchir le cours du XXIII e Congrès. Ils racontent que la plupart des secrétaires de sections ou de fédérations engagés dans la contestation à la fin de l'année dernière
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