Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
l'Europe avec le chef de l'État ». Traduisez : les communistes et les chiraquiens.
6 mars
Ce qui est formidable à voir, c'est à quel point la demande de convocation extraordinaire du Parlement, déclenchée par Jacques Chirac, fait des vagues de tous côtés, y compris au sein de son propre mouvement.
Je vais vite : dans l'opposition, quelques socialistes ont fait grise mine à l'idée d'emboîter le pas à Chirac, mais Gaston Defferre, me dit-on, les a calmés en leur disant :
« En amour déjà, je trouve l'amour-propre imbécile, mais en politique ! » Les députés socialistes ont donc fini par signer la convocation de l'Assemblée en session extraordinaire, tout en trouvant le moyen d'ajouter dans leur communiqué quelques phrases bien senties sur la responsabilité de Chirac, alors Premier ministre, dans la crise de la sidérurgie.
Les communistes, eux, ont poussé le bouchon plus loin : ils ont demandé une réunion œcuménique PC-PS-RPR. Inutile de dire que Claude Labbé, avec l'aval de Chirac, la leur a refusée illico, trouvant que les choses prenaient un tour imprévu.
Dans la majorité, les parlementaires UDF sont furieux parce qu'ils se sentent – une fois de plus – pris à contre-pied par le RPR. Mais ce qui est plus nouveau, et, à mon avis, beaucoup plus révélateur, c'est que l'initiative de Jacques Chirac fait des remous inattendus – de lui, en tout cas – dans son propre mouvement.
Yves Guéna, lui qui, depuis de longues semaines, en a marre de supporter les oukases des conseillers et les faits accomplis de Chirac, a décidé d'abandonner son poste de délégué politique du RPR. Lundi soir, il me dit au téléphone qu'il n'a appris la demande de convocation du Parlement que par la presse. Il se sent de plus en plus isolé, obligé de porter le poids de responsabilités qu'en réalité il n'exerce pas. Il est dans un état de colère avancée : il boucle ses dossiers, fait ses valises et m'assure qu'il ne refoutra plus jamais les pieds rue de Lille, et qu'il ne reverra de sa vie ni Pierre Juillet, ni Marie-France Garaud.
En dehors de Guéna, ils sont une quarantaine de parlementaires, comme Olivier Guichard, qui renâclent à l'idée de suivre un mouvement dans lequel ils comptent pour du beurre.
Il me semble que Chirac ne s'attendait pas à ces réticences. En tout cas, le débat est ouvert – ce mardi, dans les couloirs du Parlement, on ne parlait que de cela –, au sein du RPR, par ses membres eux-mêmes et pas seulement par les journalistes : Juillet et Marie-France sont-ils tout-puissants dans l'état-major du RPR ? Qui les contrôle ? L'immobilisation, puis la convalescence de Jacques Chirac expliquent-elles leur prise de pouvoir au sein du mouvement gaulliste ?
7 mars
Valéry Giscard d'Estaing nous reçoit, dans notre formation habituelle, à l'Élysée. Même salon, même table basse, mêmes boissons. Sans doute est-ce la conversation la plus intéressante que nous avons eue avec lui depuis quelques mois.
Cela commence, bien sûr, par la convocation de l'Assemblée en session extraordinaire. Il aurait pu s'y opposer, nous dit-il, comme l'avait fait le général de Gaulle en 1961 sur les problèmes paysans. « Relisez les textes de l'époque, nous dit-il, vous y verrez que c'est Michel Debré, alors Premier ministre, qui explique que le Président n'a pas à répondre à une demande de la FNSEA.
« Bon, passons, conclut-il, Chirac est bien intervenu de l'extérieur du groupe parlementaire, il a imposé sa décision aux députés. Alors, évidemment, sur un plan technique, il a bien fallu que les députés envoient individuellement leur lettre de demande de convocation, rédigée dans les mêmes termes au président de l'Assemblée nationale, comme le veut la Constitution. Sur un plan plus politique, il est en revanche évident que les différents groupes parlementaires ne veulent pas la même chose, puisque les uns veulent censurer le gouvernement et d'autres pas ! »
Donc, Giscard ne s'oppose pas à la convocation du Parlement voulue par Chirac ; il n'est d'ailleurs pas dit que celle-ci ne se retourne pas contre lui...
Dans une interview qu'il vient d'enregistrer pour la télévision et que nous entendrons ce soir, Giscard a fait part de son intention de prendre un certain nombre de mesures en vue d'une meilleure coordination de la majorité. C'est bien le moins !
De quelles mesures s'agit-il ? Il ne veut pas nous répondre tout de
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