Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
qu’il dit cela, je pense à la colère prévisible de nos gouvernants : Patrick ne peut pas être jugé un seul instant complice des propos tenus devant lui, et pourtant Saddam peut exprimer sa propre version des choses pour la première fois sur les antennes, et pas seulement celles de TF1, mais sur celles du monde entier. « Les États-Unis, termine-t-il, en déclarant qu’un conflit mondial est évitable, veulent faire croire qu’ils ne sont pas des anges de la Mort 34 ! »
Pas un mot – du moins n’en ai-je pas le souvenir – sur Gorbatchev ni sur l’URSS, qui s’est rangée immédiatement dans le camp de l’Occident.
Tout le temps qu’a duré l’interview – un bon quart d’heure –, le mot « exclusif » était affiché en haut à gauche de l’écran. Cela répondait-il à une volonté de mettre l’accent sur le « scoop » de TF1 ? Oui, évidemment, et je vois bien qu’on va nous le reprocher.
L’interview n’était pas la seule information intéressante du JT. Ce que PPDA a révélé, en duplex depuis Amman, c’est-à-dire après être sorti d’Irak et avoir assuré ses arrières, c’est qu’il avait eu beaucoup de difficultés, après avoir fait parler Saddam Hussein, à remettre la main sur les enregistrements que lui avait finalement confisqués pendant huit heures le ministère de l’Information irakien. Il a retrouvé les bandes amputées d’une seule question : PPDA avait interrogé le président irakien sur les otages qu’il détenait encore à Bagdad et lui avait demandé s’il n’y avait pas une certaine lâcheté à prendre des « boucliers humains ». Question et réponse avaient disparu.
1 er septembre
Vrai, ça tombe comme à Gravelotte ! Je m’attendais à ce que TF1 reçoive une volée de bois vert à l’occasion de cette interview ; je ne m’attendais pas à ce qu’elle nous vienne de la presse écrite, qui se déchaîne depuis deux jours. En dehors de Franz-Olivier Giesbert dans Le Figar o, Le Monde et Libération n’y vont pas avec le dos de la cuillère : nous n’aurions fait cela que pour stimuler l’audience de la chaîne ! Il faut dire que celle-ci a été considérable : plus de deux fois l’audience habituelle du journal.
Malgré toutes ces protestations, je n’arrive pas à comprendre en quoi ni pourquoi le fait d’interviewer Saddam Hussein était en soi condamnable. Même si ce qu’il dit peut l’être, il s’agit tout de même d’un document inappréciable pour l’Histoire !
À la question posée sur la manipulation dont Patrick aurait pu être éventuellement victime, j’avoue que je ne vois pas ce dont on parle. Saddam Hussein a parlé. Le ministère de l’Information a censuré une seule question-réponse, certes. Mais la France entière l’a su, puisque Poivre d’Arvor l’a souligné à l’antenne après avoir quitté l’Irak. Où serait la manipulation ? À moins que le seul fait de laisser Saddam Hussein s’exprimer soit en lui-même une manipulation, pour la bonne raison qu’il ne donne pas la même version des choses que le camp occidental ? Cela me paraît naturel : on ne voit pas comment il défendrait le point de vue opposé au sien !
J’écris longuement et le plus précisément possible sur cette atmosphère du mois d’août : le monde entier sera peut-être en guerredans quelque temps. Ça vaut la peine, je pense, d’en consigner les prémices.
Je reviens ce soir sur les déclarations de Jacques Chirac, le 27 août dernier. Il était intervenu après le débat sur l’Irak qui avait eu lieu à l’Assemblée nationale. Je comprends bien qu’il ait jugé utile de réagir le plus vite possible, car ses propos datant d’il y a maintenant près de quinze ans – sur son « ami Saddam » – risquaient de lui nuire. D’où son désir de venir faire une mise au point : oui, il avait engagé alors une action pour nouer des relations avec l’Irak ; personne alors n’en avait pris ombrage, au contraire, car les résultats avaient été très positifs pour la France ; non, il n’a pas revu Saddam Hussein depuis 1976 ; oui, il avait parlé d’« ami personnel », mais c’était dans le cadre d’un voyage officiel de Saddam Hussein à Paris, et les choses, depuis lors, ont bien changé : c’est la vie.
Sur le fond, je l’ai trouvé très bon : il a manifestement des réserves à formuler sur la politique suivie par le gouvernement mais ne juge pas le moment
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