Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
par-dessus le marché, l’opposition a déposé avant-hier une motion de censure contre le gouvernement Rocard. Il s’agit, dans le cadre de la discussion de la loi de finances, de contrer le projet de contribution sociale généralisée (CSG). Décidément, les temps sont durs pour le Premier ministre : à Mitterrand le rôle essentiel, celui du combattant pour la paix. À Michel Rocard la part laplus ingrate, celle de la vie quotidienne. J’ajoute qu’au moment précis où le débat a lieu au Parlement, un sommet de 34 États, dont l’URSS et les États-Unis, est réuni à Paris pour évoquer tout à la fois les problèmes européens et ceux du Moyen-Orient.
Le vote de la motion de censure a été l’occasion d’une volée d’attaques contre Michel Rocard. On a l’impression que, ne pouvant aujourd’hui s’en prendre à Mitterrand pour cause de crise du Golfe, les parlementaires de l’opposition ont décidé de tomber à bras raccourcis sur le Premier ministre. Leurs arguments sont assez clairs : la CSG (qu’Adrien Zeller, l’orateur de l’UDF, appelle « carence sociale globale ») complique le système fiscal français, et le gouvernement n’a pas assez informé les Français sur ce nouvel impôt.
Le problème est que, cette fois encore, comme à l’occasion de la loi d’amnistie du printemps, les communistes, plus hostiles, si possible, à la CSG qu’ils l’étaient il y a quelques mois, dénoncent pêle-mêle la volonté du gouvernement socialiste de remettre en cause la sacro-sainte Sécurité sociale, de vouloir toucher aux acquis de la Libération, de faire un cadeau aux entreprises, que sais-je encore ? Voici Rocard en quelque sorte coincé entre la droite, qui lui reproche un nouvel impôt, et les communistes, qui l’accusent de complaire au grand patronat. Et cela alors que la guerre menace, et, au surplus, au moment de la tenue à Paris d’un sommet capital ! Je suppose qu’il se serait aisément passé d’un tel débat.
Difficile débat, le plus dramatique, aussi, puisque, pour la première fois, quatre des cinq groupes de l’Assemblée ont annoncé leur volonté de renverser le gouvernement, et que le PS n’y a que la majorité relative. Rocard fait front avec pas mal de classe, je trouve, en parlant des prix, maîtrisés malgré la guerre du Golfe, de la croissance, maintenue à un niveau élevé, mais aussi en distribuant équitablement coups de griffe à l’opposition et encouragements aux députés socialistes.
Beau discours, vraiment, bien meilleur que celui qu’il avait prononcé il y a plus de deux ans, à l’occasion de son arrivée à Matignon.
Chacun a remarqué qu’en plein discours de Rocard, Chirac s’est levé et a quitté l’hémicycle, ce qui ne se fait pas. Geste étonnant d’un ex-Premier ministre vis-à-vis d’un Premier ministre en place avec lequel, au demeurant, il s’entendait assez bien lorsqu’ils se sont remplacés.
Tout cela s’est terminé dans un mouchoir de poche : quelquesdéputés UDF et trois députés d’outre-mer ont fait la différence. Le gouvernement n’a pas été mis en minorité. Chirac n’a pas voté.
20 novembre
Nouvelle conférence de presse de Mitterrand sur le Golfe. Les choses ne progressent guère.
23 novembre
Alerte pour Michel Rocard. Pour la première fois depuis des années, sa cote dans les sondages est négative : 40 % des Français pensent qu’il ferait un bon président de la République, contre 48 % qui estiment le contraire. Le Nouvel Obs , qui publie le baromètre présidentiel de la Sofres, note que Michel Rocard n’a pas perdu à gauche chez les militants socialistes : il a perdu du terrain chez les sympathisants communistes et surtout parmi l’électorat UDF et RPR, payant ainsi sans doute pour la contribution sociale généralisée.
Jacques Delors, qui, à gauche, le suit de près dans les sondages, obtient un meilleur score chez les centristes que parmi les socialistes.
Les circonstances font que Rocard n’occupe plus depuis trois mois le devant de la scène : l’Irak a remis le Président en selle.
30 novembre
Question qui court Paris : le moment est-il venu pour Mitterrand de changer de Premier ministre ? Je pense que si nous n’étions pas dans une conjoncture aussi belliqueuse, le sort de Rocard serait déjà scellé. Pourquoi ? Parce qu’il ne paraît plus intouchable dans l’opinion. Parce qu’il ne fait pas ou plus l’unanimité des socialistes,
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