Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
opportun pour déclencher une polémique. Il a surtout été intéressant dans son analyse de l’avenir.
Quant à Fabius, présent dans le même journal, il a parlé de « gangstérisme international » pour définir la politique irakienne.
Il me semble que, dans le consensus dont tout le monde parle, les réticences de Jean-Pierre Chevènement commencent à être perçues : Chirac y a fait une brève allusion et Fabius a insisté sur le démenti apporté par le ministre de la Défense. Cela ne fait qu’enfoncer le clou : il n’y a pas de fumée sans feu. Pour qu’il y ait démenti, il faut bien que Chevènement ait formulé (quand, comment ? en Conseil des ministres ? en Conseil restreint ?) des réserves.
Pour moi qui connais la réalité des choses le concernant, le démenti ne fait guère illusion. Mais il est trop tard – j’y reviendrai demain.
10 septembre
Je n’y reviens qu’aujourd’hui parce que je n’ai pas arrêté une seconde depuis lors. Je pense – et Philippe Barret, qui ne me dit pas tout, m’a tout de même parlé de cela, car il est en proie aux mêmes affres – que Chevènement est plus que réservé. D’abord, les militaires ne sont pas chauds du tout. Avec cet argument : par deux fois déjà, depuis la IV e République, disent-ils, les socialistes nous ont forcés à faire laguerre, en Indochine puis en Algérie, sans parler de Suez, et cela s’est toujours terminé par notre mise en accusation par les Français, qui ont fini par nous dénoncer à peu de chose près comme des fascistes ! Mais c’est surtout l’équilibre du monde que Chevènement et ceux qui le suivent estiment en péril : l’Irak est un pays clé pour la paix au Moyen-Orient. Son armée est forte, il y aura beaucoup de morts, de sérieux dangers d’enlisement, de déstabilisation de cette partie du monde. Même si l’Irak a commis une faute majeure en entrant au Koweït et en refusant d’en partir, le péril que ferait courir une opération internationale est sans commune mesure avec cet acte-là.
J’ajoute que, pour Jean-Pierre et les siens, il s’agirait alors d’une guerre américaine, pour les intérêts de l’Amérique et uniquement pour elle.
Peut-être – c’est ce que je pense – toutes ces interrogations seront-elles balayées assez rapidement, car, après tout, l’embargo empêche les Irakiens de vendre leur pétrole, et même, dans un avenir assez proche, va les priver de médicaments et de nourriture.
Après tout, il serait facile à Saddam Hussein, maintenant qu’il a réussi son coup, de se retirer du Koweït.
15 septembre
Une fois de plus, la Fête de L’Huma . L’interview annuelle de Georges Marchais prend toute son ampleur en pleine affaire du Golfe. Sauf qu’il en parle peu, pour ainsi dire pas. Blouson bleu, chemise rayée, face à la caméra il dénonce la politique du gouvernement. En l’état actuel des choses, les communistes ne voteront pas le budget.
Lorsque je lui demande s’il ne trouve pas que le moment – c’est-à-dire la crise internationale – est mal choisi pour marquer ses distances avec le pouvoir socialiste, il me dit avec sa gouaille habituelle qu’on ne la lui fait pas : l’austérité avait été décidée avant, elle était naturellement envisagée pour les salariés, pas pour le grand capital.
Je lui fais tout de même remarquer que l’actualité est lourde. Il minimise :
« Nous ne sommes pas en 1939. Les événements sont graves, mais que l’on ne nous fasse pas le coup de dire aux Français qu’il faut tout accepter ! »
Bref, tel qu’il est, le PC ne votera pas le budget.
Un coup de patte à Alain Duhamel : celui-ci vient d’écrire que Georges Marchais appartenait à une espèce en voie de disparition, et qu’il démissionnerait sans doute en décembre. Marchais rigole avec ostentation :
« On ne jette pas la pierre au palmier stérile ! S’il m’attaque, c’est qu’il a conscience que le PC est bien vivant ! »
Pas de réponse, donc, sur un éventuel départ. Et pas un mot, ou pas grand-chose, sur la guerre du Golfe.
Pendant qu’il parle, Roland Leroy est dans l’axe de la caméra, juste derrière lui. Les deux éternels rivaux à la tête du PC apparaissent ainsi de longues minutes, tout le temps que dure l’interview, sur la même image, comme liés par un sort commun.
31 septembre
Après avoir fait saccager la résidence de l’ambassadeur de France en Irak 35 – ce
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