Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
qui a entraîné l’envoi par la France de 4 000 hommes, accompagnés de tout ce qu’il faut d’avions de combat et de chars –, Saddam Hussein vient d’annoncer qu’il ne renoncera pas au Koweït. J’avoue que je ne comprends rien à sa stratégie. Pense-t-il faire reculer tout seul les grandes puissances ? Croit-il être en mesure d’imposer sa loi au reste du monde ? Il est évident qu’il est soit mégalomane, soit suicidaire. Ou les deux.
2 octobre
Édith Cresson quitte volontairement le gouvernement. Pas n’importe comment. En expliquant urbi et orbi qu’avec Rocard, elle parlait dans le vide lorsqu’elle était ministre des Affaires européennes, qu’elle ne pouvait pas rester plus longtemps dans un gouvernement manquant à ce point d’énergie et de volonté. Bref, une charge nette et rude contre Michel Rocard.
J’en parle avec Maurice Faure à qui je demande si, à son avis, elle a agi avec l’aval de Mitterrand. Il rigole : la réponse, pour lui, est évidente. Édith Cresson ne fait pas grand-chose sans avoir recueilli au préalable la bénédiction de Mitterrand.
En même temps qu’elle, exit Pierre Arpaillange, qui doit quitterle ministère de la Justice. Ce qu’il paie, lui, c’est d’avoir mal géré – ou pas géré du tout – les affaires Urba-Graco sur le financement du PS 36 .
31 octobre
La notion de « peuple corse » est retenue par le Conseil des ministres. Michel Debré, au téléphone, consterné : est-ce le moment, vraiment, de parler de peuple corse ?
3 novembre
Après le discours de Mitterrand aux Nations unies 37 , et, faut-il ajouter, compte tenu de la folle attitude de Saddam Hussein, les voix se font plus rares pour contester l’intervention militaire. Celle de Claude Cheysson reste de celles-là. Il est venu tout à l’heure à TF1 exprimer publiquement sa position : il pense que l’attitude de Bush, qui veut en réalité abattre le potentiel irakien, est « inacceptable » ; que les raisons invoquées par lui lorsqu’il menace l’Irak d’une intervention militaire relèvent purement des intérêts américains et ne tiennent aucun compte des intérêts européens. L’action militaire en elle-même est, selon lui, également inacceptable.
Nous parlons longuement, après sa prestation au JT, de la position qu’il vient d’exprimer :
« Pourquoi, se demande-t-il, ne disons-nous pas, comme les Soviétiques, que nous sommes hostiles à toute forme d’intervention ? Cela ferait réfléchir George Bush.
– Tout de même, l’attitude de Saddam Hussein vis-à-vis du Koweït ferme le jeu. »
Il en convient tristement. Ce qui ne l’empêche pas d’être de toutes ses forces opposé à ce qui, selon lui, se prépare.
15 novembre
L’atmosphère inouïe de cet automne, le sentiment que le monde est suspendu à la volonté de Saddam Hussein qui peut, à son gré, déclencher un affrontement planétaire, n’a pas empêché 100 000 lycéens de défiler dans Paris pour réclamer de meilleures conditions de travail, plus d’argent et plus de sécurité.
Des manifestations sans grande originalité qui ont revêtu une importance exceptionnelle lorsque le Président a reçu à l’Élysée les leaders de la Coordination lycéenne, et cela, tandis de violentes bagarres opposaient casseurs et CRS, en marge du cortège, sur le pont de l’Alma.
On ne saura sans doute jamais ce que Mitterrand leur a dit réellement. Toujours est-il que les jeunes sont sortis en résumant ainsi la teneur de l’entrevue : le Président est d’accord avec nous. Rocard n’a plus qu’à prendre ses responsabilités.
On imagine la joie qui règne à Matignon, et aussi rue de Grenelle 38 ! D’autant que Rocard n’est pas là – il est au Japon pour le couronnement de l’empereur !
Pour un court-circuitage, c’est un court-circuitage ! On revient au problème permanent depuis trois ans : Mitterrand veut-il se débarrasser de Rocard ? Attend-il la fin de la crise du Golfe pour s’en défaire ?
Quant à Lionel Jospin, il paraît qu’il ne décolère pas. Si Rocard était à Tokyo, lui était bel et bien à Paris : Mitterrand ne l’en a pas convoqué pour autant. On dit qu’à une question posée par un de ses jeunes interlocuteurs : « Qu’est-il advenu des milliards de crédits accordés à l’Éducation nationale ? », Mitterrand aurait répondu : « Je me le demande, moi aussi ! »
19 novembre
Et voici que
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