Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
ainsi que l’a montré l’accueil qui lui a été réservé aux journées parlementaires socialistes, à l’automne. Et surtout parce que, depuis près de six mois – depuis le mois d’août, en tout cas, et l’invasion du Koweït par Saddam Hussein –, l’agitation au sein de ce qu’on appelle la communauté internationale a replacé François Mitterrand en première ligne. Chacun sait que Rocard a été à peine consulté – et encore, je n’en suis pas sûre – sur l’engagement de la France dans leconflit. Ce n’est pas qu’il n’ait pas été d’accord, c’est qu’on ne le lui a pas demandé !
Il suffit de passer quelques minutes à Matignon pour se rendre compte que le cabinet de Rocard est tout entier dressé contre l’attitude du Président, jugée plus que méprisante envers son Premier ministre.
3 décembre
Après l’ultimatum de l’ONU à Saddam Hussein et l’envoi de 400 000 soldats américains en Arabie saoudite, on a vraiment l’impression que rien n’empêchera plus la guerre. Jean-Pierre Chevènement a été interrogé aujourd’hui sur la Cinq par Pierre-Luc Séguillon. Je sais à quel point, jour après jour, il s’inquiète : non parce que, comme le murmure le milieu politique et comme l’écrit la presse, l’armée irakienne est la quatrième du monde. Simplement parce qu’il imagine déjà les milliers de morts de part et d’autre, l’anéantissement de l’Irak, le désordre régnant au Moyen-Orient. D’ailleurs, une partie de ses amis politiques – Max Gallo, Dominique Jamet, etc. – vient, dans une déclaration qui a fait du bruit, de demander le retrait des forces françaises d’Irak. Comment douter que, n’exerçant pas les responsabilités du ministre de la Défense, ils expriment au moins partiellement ses réticences ?
Ce soir, à la télévision, Chevènement avance que le « compte à rebours » – c’est le terme qu’il emploie – a commencé. « Les chances d’une solution pacifique semblent s’éloigner », constate-t-il.
J’ai noté rapidement une phrase à la fin de son face-à-face avec Séguillon. Non sans quelque solennité, il ajoute : « Ceux qui souhaitent la guerre, aux USA et ailleurs, se trompent. Il y a toujours des gens qui ne réfléchissent pas jusqu’au bout. S’il y a une chance d’éviter la guerre, il faut la saisir. »
Il n’y croit plus lui-même.
9 décembre
Je ne le dis pas souvent aussi clairement, mais là, vraiment, je trouve que l’opposition passe les bornes : ils ont été 101 à déposer une nouvelle motion de censure contre Rocard, cette fois pour mépris des droits du Parlement, ou quelque chose de ce genre. En cemoment ! Alors que des milliers de soldats partent pour l’Arabie saoudite !
C’est du harcèlement.
Avec la même sanction : la motion de censure ne recueille pas les voix nécessaires pour faire sauter le gouvernement 39 .
Mi-décembre
Je sais aujourd’hui que Jean-Pierre Chevènement a offert sa démission à Mitterrand. Celui-ci, d’un ton grave, lui a demandé d’attendre : après tout, il est possible qu’il n’y ait pas de vraie guerre et que tout reste en l’état : des troupes de tous pays envoyées en Arabie saoudite, escortées, surveillées par une meute de journalistes internationaux qui ne voient que ce que les Américains – ou les Français, en ce qui nous concerne – veulent leur montrer.
Problème, évidemment, de la source des images que nous diffusons. Mano, Volker, Patrick Bourrat, Catherine Gentile, Isabelle Baillancourt, Marine Jacquemin, tant d’autres, tous sont dans le Golfe, en Arabie saoudite ou à Amman, en Israël ou en Libye. Ils ne voient pas grand-chose, assistent aux points de presse des militaires, interrogent des diplomates. Tout cela, si j’ose dire, l’arme au pied, sans bouger, en participant à des entraînements bidon sous le contrôle des représentants du SIRPA français.
À noter le nombre de filles journalistes qui sont sur le terrain, correspondantes de guerre pour la première fois. Au début, j’ai eu comme une réticence à les envoyer là où je n’allais pas. Puis je me suis dit que, justement parce qu’elles étaient des filles, je devais accepter, et apprécier qu’elles se portent volontaires. Pour l’heure, cela ne porte pas à conséquence : chacun, chacune attend.
Accordons-nous trop d’importance à ce qui se passe au Moyen-Orient ? Dramatisons-nous à l’excès, à
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