Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
case départ.
13 mars
Je n’ai pas parlé de la conversation que j’ai eue, hier, avec Robert Badinter.
Sa préoccupation essentielle, c’est Le Pen. Pourquoi cet épanouissement du Front national ? se demande-t-il. Qui en est responsable ? Et d’évoquer une sorte de maladie française, celle de la tentation de l’extrême droite, d’une extrême droite honteuse, qui n’ose pas dire son nom, celle de Drieu La Rochelle 17 qui a écrit cette phrase inquiétante : « Le fascisme est en chacun de nous » :
« En Allemagne, le mal a été exorcisé par les dirigeants politiques allemands eux-mêmes après la guerre. En France, poursuit Badinter, le père de Gaulle a remis le couvercle sur les Français, et le mal est resté. »
Quel mal ? Le mal vichyste, déjà, me dit-il, ressorti avec Valéry Giscard d’Estaing ; le mal des magistrats signant, à l’exception d’un seul d’entre eux, le serment de fidélité au maréchal Pétain ; celui des intellectuels à la botte des chefs allemands.
Pour le reste, il est toujours très proche de Mitterrand. Sur le mode de scrutin, notamment, son horreur de Le Pen n’empêche pas qu’il soit partisan de la représentation proportionnelle.
Pierre Joxe aujourd’hui, avec Albert Du Roy, à Antenne 2.
Incroyable mais vrai : il souffre d’être ministre de la Défense. Montrant du doigt le merveilleux jardin de l’hôtel de Brienne, il me dit : « Vous voyez, l’Assemblée nationale est là, au bout du jardin !Pourtant, ici, aujourd’hui, j’appartiens à un monde différent, complètement différent. »
Les militaires ne sont pas sa tasse de thé. La vie politique seule le passionne, et à temps plein, s’il le pouvait. Nous parlons donc de ce qui l’intéresse au plus haut point : le Parti socialiste. Il rend Jospin responsable de la dégradation du Parti, et s’irrite un peu, me semble-t-il, de l’inertie de Fabius depuis le mois de janvier. Il faut dire qu’il est en campagne pour les régionales, et que cela prend du temps.
Lui-même, Pierre Joxe, fait-il campagne ?
« Oh, me répond-il, je n’ai pas l’intention d’être président d’un conseil régional, comme Alain Juppé ; alors je n’en fais pas autant ! »
Épisode comique avec Albert Du Roy qui, croyant le caresser dans le sens du poil et pensant que seul Chevènement pouvait être un ministre de la Défense hostile à la guerre, lui demande avec un soupçon de reproche dans la voix : « Pourquoi les troupes alliées ne sont-elles pas allées jusqu’à Bagdad ? »
Joxe, dont je sais quelles réticences étaient les siennes en août 1990, rigole carrément :
« Ah oui, très bien, on aurait pu aller jusqu’à Bagdad et en faire le siège, comme au Moyen Âge ! Et puis rechercher Saddam Hussein dans la ville, au milieu de 30 000 soldats et gardes du corps ! Et les pays arabes nous auraient tous suivis à coup sûr !
« De toute façon, conclut-il, redevenu sérieux, Mitterrand n’aurait pas bougé. Les Américains auraient dû y aller tout seuls. Non, c’était injouable ! »
Nous repassons vite à la politique : il est spontanément hostile à une trop large ouverture politique. Il la considérerait pourtant comme possible, envisageable, si elle était pratiquée par le PS, autour du PS, dirigée uniquement par le PS. Comme s’il attendait des régionales et des législatives – et surtout de la représentation proportionnelle, dont il est partisan – une majorité certes composite, mais dont le Président et un Premier ministre socialiste continueraient d’avoir la clef.
Pas un instant il n’imagine le PS dépossédé du pouvoir en 1993. C’est cela, la foi !
13 mars
Débat électoral à TF1. Nous avons choisi la région PACA et organisé un quadruple débat.
Bruno Mégret, qui représente Le Pen, parle de Tapie en ces termes : « Bernard Tapie, à Marseille, nous l’appelons Pinocchio, tant il est menteur. À cette différence près que lui, quand il ment, ce n’est pas son nez qui grossit, c’est sa tête ! »
En combattant Le Pen comme il a osé le faire il y a plusieurs mois, Tapie est devenu l’ennemi numéro 1 du Front national. Joli coup !
17 mars
En voiture avec Jacques Chirac vers un meeting à Aulnay-sous-Bois. J’écris mal pendant qu’il parle, que son chauffeur émérite le conduit à toute allure vers la banlieue est, et que Robert Pandraud, le local de l’étape, tente à
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