Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
même lorsqu’un communiste reste en piste seul contre le Front national.
Le meeting se déroule. Avant Robert Pandraud, François Bayrou parle. Pour la deuxième fois au cours de cette campagne, j’entendsun orateur se faire applaudir, ovationner même, en condamnant le geste de Michel Charasse refusant d’entrer dans une église pour la messe d’enterrement d’un fonctionnaire ou d’un inspecteur des Douanes. Il fait un véritable tabac.
Sur le fond, je me demande, en écoutant d’abord Pandraud, Chirac ensuite, comment ils différencieront leurs militants de ceux du Front national. Tous les thèmes, ou à peu près, sont les mêmes : hôpitaux bondés d’immigrés, contestation de la politique inefficace dans la reconduite aux frontières, sécurité dans les banlieues. À peine y a-t-il, dans le discours difficilement compréhensible de Pandraud, qui avale toutes les syllabes, une allusion à l’extrême droite et à son archaïsme. L’essentiel des attaques porte sur François Mitterrand qui devrait, dès le 25 mars, si les socialistes perdent les élections régionales, dissoudre l’Assemblée nationale ou démissionner.
De façon générale, chez les orateurs qui ont précédé Chirac, si les thèmes développés reprennent, sans le dire, nombre de thèmes du Front national, il n’y est guère fait allusion au mouvement de Jean-Marie Le Pen lui-même.
Jacques Chirac parle en dernier.
Sur le style, a-t-il changé depuis 1988 ? Pas tellement. Les mêmes mots sans relief, les mêmes mouvements du bras gauche, la même raideur. L’homme public est aux antipodes de l’homme privé : je ne sais pas pourquoi il n’arrive toujours pas, au bout de tant d’années passées en politique, à faire coïncider les deux.
Il aborde les enjeux des élections : il faut un autre souffle pour la France. Il évoque la morosité générale, le rejet du politique. Puis il attaque les communistes, dominants en Seine-Saint-Denis. Sur le même ton que tout à l’heure dans la voiture, il dénonce « la honte et l’immoralité » qu’il y a, pour les socialistes, à accepter des voix communistes. En forçant le trait, il affirme que « la défaite des communistes est d’abord une question de morale et d’honneur ».
Après un couplet sur la dégradation de la sécurité, il aborde plus largement la responsabilité collective des socialistes dans le « laxisme gouvernemental ». Pour finir, il met en garde son électorat contre les dangers du vote Front national, qu’il explique par « l’esprit de démission de ceux qui gouvernent », auquel il faut néanmoins résister.
La grande nouveauté – je m’en aperçois en suivant de près le texte du discours tel qu’il a été rédigé et remis aux journalistes présents –, c’est qu’il ne lit pas son discours, ne porte pas sonregard sur les feuillets qu’il a posés devant lui, et pourtant il le dit au mot près. Je ne trouve l’explication qu’au bout de quelques minutes : il a un prompteur 18 , ou plutôt un double prompteur, presque invisible, sur le côté gauche et le côté droit de la tribune. D’où son mouvement de tête de la droite à la gauche de l’assistance, puis de la gauche à la droite, et sa légère inclinaison du buste lorsqu’il passe d’un appareil à l’autre. Renseignements pris : le président des États-Unis, George Bush, était l’adepte de ce prompteur, il en a vanté l’efficacité à Chirac, qui, détestant les prises de parole en meeting, s’y est immédiatement converti. Il a dû en prendre des leçons pour arriver à cette maîtrise du prompteur !
20 mars
Hier, déjeuner avec Simone Veil et dîner avec Marie-France Garaud.
Elles se connaissent en réalité beaucoup mieux et depuis plus longtemps que je ne le pensais. Entre elles, il y a eu une sorte de chassé-croisé. Lorsque Simone Veil était plus jeune, elle avait la passion de la justice et de la magistrature, pas celle de la politique. Marie-France, elle, a toujours voulu faire de la politique, ou, à défaut, conseiller un homme politique. C’est ce qu’elle a longtemps fait avec Jacques Chirac.
De sorte que, pendant des années, Simone Veil a écouté son mari, Antoine, et Marie-France parler politique, souvent sans lui demander son avis. Par la suite, c’est elle qui a fait de la politique.
Nous revenons, avec Simone Veil, sur l’affaire Habache. Selon elle, elle a été suscitée par Mitterrand lui-même, après sa
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