Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
plusieurs reprises de lui rappeler le déroulement de la soirée qui vient.
Ce que me dit Chirac :
1. Il ne gouvernera pas si le RPR et l’ensemble de l’opposition n’obtiennent pas la majorité absolue en 1993. En revanche, il ne voit pas bien comment il pourrait éviter Matignon, si c’est le cas.
2. Il est persuadé que Mitterrand changera le mode de scrutin le plus vite possible. Il commencera par proposer un scrutin majoritaire mitigé d’une part de proportionnelle. Le Conseil constitutionnel le refusera. Mitterrand optera donc (et le PS aussi, bien obligé !) pour la proportionnelle intégrale.
3. L’année qui vient est une année difficile. Pour lui, Chirac, d’abord, qui restera fidèle à son choix de combattre le Front national et de refuser tout accord avec lui. « Quand on a une idée, me dit-il, il faut s’y tenir. »
Il s’attend donc à perdre des régions au profit des socialistes, ce que son électorat ne comprendra pas, plutôt que de s’allier avec Jean-Marie Le Pen. Les militants risquent fort de ne pas le comprendre non plus. Du moins les plus vieux d’entre eux. Car il y a, parmi les nouveaux adhérents du RPR, ceux qui adhèrent aujourd’hui, des adversaires déterminés de Le Pen, qui adhèrent essentiellement pour lui faire barrage.
« La France aussi, ajoute-t-il, connaîtra une année difficile, ballottée qu’elle sera entre la réforme constitutionnelle annoncée, le débat sur le vote des étrangers, la ratification des accords de Maastricht – une plaisanterie ! –, le référendum sur les cinq ans, que je ne peux pas ne pas voter, puisque je l’ai toujours demandé. Tout cela, dans un pays divisé par le Front national. »
4. Pourtant, dit-il, les chances de la France étaient grandes face à une Allemagne à laquelle la réunification pose des problèmes graves. Les experts prévoient qu’il faudra dix ans à l’Allemagne de l’Est pour arriver au niveau de celle de l’Ouest.
« Je suis persuadé qu’ils se trompent. Les Allemands de l’Est n’attendront pas dix ans sans broncher, il y aura des mouvements sociaux, des grèves. Les syndicats allemands, ce sont des vrais, des durs. Ils réclameront des 11 et 9 % de revalorisation, et le gouvernement leur accordera des 9 % et 7 %, mais ils finiront par gagner ! Cela affaiblira l’Allemagne. »
En marge de ce portrait d’une Allemagne affaiblie, il fait un détour en évoquant, parlant de l’ex-Allemagne de l’Est, une conversation qu’il a eue récemment avec Helmut Kohl, lequel lui aurait dit que la police politique est-allemande, la STASI, était quatre ou cinq fois plus importante que la Gestapo !
Il poursuivit sa démonstration sur les atouts de la France face aux autres pays européens :
« Quant à l’Angleterre, Margaret Thatcher partie, elle retombera dans ses défauts : l’allergie au travail. Il n’y a guère dans l’avenir que l’Italie et l’Espagne qui, avec leur génie propre, peuvent nous concurrencer. Et c’est tout cela que rate Mitterrand ! »
Si je comprends bien son discours, je m’aperçois qu’il est hostile, dans le fond, au traité de Maastricht dont il m’a dit, sans que j’aie eu le temps d’aller chercher le fond de sa pensée (peut-être n’y serait-il d’ailleurs pas allé !) que c’était « une plaisanterie ». Il pense que la France a assez d’atouts pour ne pas accepter de sombrer dans les difficultés des autres.
5. Il parle maintenant de Mitterrand. Sa vraie constante, me dit-il, lui qui pourtant « a bougé comme les petits pois en train de bouillir », c’est l’antigaullisme. « Dans cette perspective, continue-t-il, Mitterrand ne craint rien, ou pas grand-chose, de Le Pen qui pour lui, comme sous la IV e République, reste une partie de la droite, une partie à la droite de la droite, certes, sans qu’il y voie un danger fasciste.
« On l’a oublié, reprend-il pour étayer son propos : à l’élection présidentielle de 1965, Jean-Louis Tixier-Vignancour, candidat de l’extrême droite, s’est désisté en faveur de Mitterrand. Qui a rendu public ce désistement ? C’est Jean-Marie Le Pen, alors directeur de campagne de Tixier. Et pourquoi l’a-t-il fait ? Par pur anti-gaullisme ! »
D’ailleurs, Jacques Chirac est persuadé qu’il y a des contacts entre Le Pen et Mitterrand : « Pas directs, assure-t-il, bien sûr, mais ils existent ! »
Je n’en ai jamais entendu parler, je le
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