Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
parle du « sacrifice d’Iphigénie » pour rendre un hommage inattendu à Édith Cresson dont il dit aujourd’hui qu’elle n’avait pas tous les défauts, que la situation dont elle avait hérité n’était pas facile. Que n’a-t-il écrit cela plus tôt !
Il semble (cela vient d’André Gauron, ancien collaborateur de Pierre Bérégovoy, aujourd’hui au CSA) qu’Édith soit bien entendu disposée à partir. Elle insiste simplement pour ne pas être remplacée par Bérégovoy. Panique à Bercy !
Après Cresson, Lionel Jospin est entré à l’Élysée, puis Pierre Joxe. Jean Poperen me confirme au téléphone la position d’Édith Cresson : elle est profondément hostile à l’idée d’être remplacée par celui qui l’a le plus combattue. « De toute façon, résume Poperen, qui ne lâche pas Édith en cette période difficile, elle n’a pas le choix : nous n’avons plus d’alliés. » Il n’est pas trop inquiet sur son sort personnel, quoiqu’il ait été « enterré » par Libération ce matin !
11 h 45
Bérégovoy a l’air d’y croire maintenant, bien qu’à Matignon on le désigne ouvertement comme le vrai « saboteur » d’Édith Cresson.
12 h 45
Coup de téléphone de Jean-Louis Chambon depuis Matignon. Non, me jure-t-il, Édith Cresson ne barre pas la route à Bérégovoy. Au contraire, elle a dit à Mitterrand non sans quelque impatience, il est vrai : « Prenez-le si vous le voulez, cela fait dix ans qu’il attend ça ! »
Joxe, Mermaz et Jospin ont, sans doute, plaidé contre la nomination de Pierre Bérégovoy. Tous trois se seraient vigoureusement élevés contre ce qu’ils ont appelé le « putsch fabiusien » qui verrait Béré, flanqué de Quilès et Auroux, arriver à Matignon.
D’où l’appel réitéré par eux à Jacques Delors, qui reste sur ses positions.
Les socialistes, même dans les circonstances graves, ne savent décidément qu’étaler leurs divergences.
13 h 10
Arrivée de Michel Vauzelle à l’Élysée. C’est un fabiusien à qui Mitterrand confierait bien les Affaires étrangères. Cette arrivée conforte l’idée que Mitterrand serait en train de jouer le clan Fabius sans l’assentiment des autres chefs de guerre du PS, et en l’absence d’accord avec Jacques Delors. Joxe et Mermaz, partisans de Delors, partiraient dans l’après-midi pour Bruxelles dans le but de tenter une nouvelle fois de le convaincre.
17 h 15
Le doute, toujours le doute !
Tandis que le groupe parlementaire socialiste se déchaîne, à l’Assemblée, contre Édith Cresson, Le Monde et l’AFP titrent sur l’incapacité de Mitterrand à choisir.
Pierre Bérégovoy m’appelle au téléphone, demande que TF1 mette la pédale douce sur son éventuelle nomination : Édith Cresson est toujours là, lui-même n’a constitué aucun gouvernement, il ne s’est pas permis d’arriver à l’Élysée avec sa liste de ministres. Je traduis son coup de téléphone : il s’est fait engueuler par Mitterrand pour avoir parlé trop tôt, et il craint d’avoir irrité le Président.
L’erreur, à mon avis, est qu’il aurait dû laisser Édith Cresson à Matignon le temps de changer le mode de scrutin. Car le prochain Premier ministre ne l’aura peut-être pas, ce temps-là. Dans ce cas, il doit déjà préparer sa sortie.
17 h 45
Bernard Tapie, au téléphone, m’annonce comme certaine la nomination de Bérégovoy à Matignon. Et son entrée, à lui, au gouvernement ! Dans un poste interministériel, sans doute au ministère de la Ville.
18 h 15
Gilles Ménage a essayé, depuis l’Élysée, de joindre Delors. Il n’y est pas parvenu. Il doit le rappeler à 18 h 30.
18 h 45
J’appelle à nouveau Pascal Lamy à Bruxelles. Son ton a quelque peu évolué. Delors a-t-il changé d’avis ? Sa décision est-elle prise ? Accepte-t-il Matignon ?
« Ne parlons pas de décision, me dit-il. Contentons-nous d’une analyse. Effectivement, beaucoup de gens à Paris ont pris contact avec nous. On est copains, quand même, on peut les écouter. Delors n’attend rien pour lui. Simplement, nous voyons, comme tout le monde, que Cresson a vidé son sac, ce qui ne doit pas être triste, que Bérégovoy a soufflé trop fort, comme le petit cochon de l’histoire enfantine : du coup, la maison s’envole !
« De toute façon, il n’y a pas d’un côté le président de la
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