Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
années, Marie-Christine Blandin, professeur de collège de trente-neuf ans. La première prestation de cette petite bonne femme, sympathique au demeurant, venant bafouiller à la radio : « C’était hors de propos, hors de propos, mon élection », fait un drôle d’effet.
31 mars (suite)
J’écris pendant qu’Édith Cresson vient de remettre sa démission au président de la République. Pas de confirmation officielle, cependant, du départ de Cresson. L’entretien a duré quarante-trois minutes.
Pourquoi Jacques Delors 26 a-t-il refusé le poste ? Pascal Lamy, son collaborateur fidèle, me l’explique depuis Bruxelles où je l’ai appelé au téléphone : il juge que la situation est bloquée. « Rien ne peut bouger, rien ne bougera », me dit-il. Les centristes sont hors de portée, les écolos, je le cite, « sont en train de se tirer en empochant les dividendes de leurs actions », le PC ne vote plus pour les socialistes. Résumé : il n’y a pas de majorité possible aujourd’hui autour de Delors. Rien ne peut être recomposé avant d’éventuelles législatives.
« Jacques Delors, ajoute-t-il, sait très bien que sa popularité en France vient du fait qu’il est en poste à l’étranger. »
Ce qu’il ajoute pour finir est le plus important : « On a, me dit-il, les institutions qu’on a. Je pense que le président de la République ne peut pas se mettre tout nu. S’il appelle Delors tout de suite, il n’a plus aucun atout dans sa manche. C’est sa dernière cartouche. Ce serait un mauvais service à lui rendre que de lui enlever toute marge de manœuvre. »
Il s’agit en quelque sorte, à l’entendre, d’un refus négocié entre Delors et Mitterrand !
Mardi 31 mars, 16 heures
Au tour de Jean-Luc Mano de participer à la bourse collective d’informations. Il vient d’avoir Édith Cresson au téléphone. Elle lui confirme avoir remis sa lettre de démission à Mitterrand tout en lui proposant un gouvernement restreint, celui qu’elle avait déjà, il y a quelques semaines, cherché à obtenir de lui.
« Un gouvernement restreint, lui aurait dit le Président, de toute façon il y en aura un, avec vous ou avec Bérégovoy ! Revoyons-nous demain avant le Conseil des ministres, à 9 heures du matin.
« Bérégovoy, aurait poursuivi Mitterrand, j’entends bien qu’on en parle, mais pas comme un homme qui puisse véritablement mettre la barre à gauche. »
Selon Édith, l’analyse de Mitterrand est celle-ci : les voix communistes ne se sont pas reportées sur les candidats socialistes au second tour des cantonales. Il faut corriger cette dérive-là, et donc nommer à Matignon un homme nettement favorable à l’union de la gauche.
« Votre vrai problème, a-t-il également dit à Édith, c’est que, désormais, le groupe socialiste et le Parti ne vous soutiendraient plus : Laurent Fabius me l’a dit. »
Le scénario rappelle celui de 1983 au moment où Mitterrand avait envisagé sérieusement de se séparer de Pierre Mauroy. Hésitation entre plusieurs lignes, plusieurs stratégies, plusieurs hommes.
Édith à peine sortie du bureau de Mitterrand, le ballet reprend à l’Élysée : Dumas croise Mauroy, Bérégovoy succède à Fabius. Lang, après une visite de l’exposition Les Vikings , quitte Paris pour Blois où il échappe aux journalistes.
20 h 30
La journée s’achève sans que la décision soit prise. La réunion du Conseil des ministres reste maintenue pour demain. Bérégovoy est virtuellement Premier ministre. Pourtant, Édith Cresson l’est encore.
20 h 35 : j’ai écrit trop tôt, trop vite ! Le Conseil des ministres vient d’être annulé ! Il semblerait que le balancier soit reparti du côté de Delors. Pourquoi ? Tout à l’heure, Édith Cresson aurait mis en garde le Président contre son idée de nommer Bérégovoy, en énumérant une bonne fois toutes les peaux de banane que celui-ci avait mis sous ses pas depuis l’année dernière. Pierre Mauroy aurait abondé dans son sens.
1 er avril
Je suis tellement fascinée par ce qui se passe, par cette tragi-comédie dont je ne vois pas la fin dans l’immédiat, que je me suis mise à noter fébrilement les événements en direct, si j’ose dire.
Le ballet continue. À 9 h 30, ce matin, Édith Cresson est revenue chez Mitterrand. On attend la sortie. La presse de ce matin est à la fois hostile et ironique. Dans Le Figaro , Alain Peyrefitte
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