Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
République qui dit oui à Delors, et de l’autre Delors qui lui dit non. Les choses sont plus compliquées. »
Autrement dit : si Mitterrand insiste vraiment...
Voilà : j’ai raconté, heure après heure, une crise gouvernementale et les hésitations présidentielles.
Ce soir, en tout cas, Cresson est toujours à Matignon.
2 avril, 9 heures du matin
La dépêche tombe : Bérégovoy remplace Édith Cresson. Il est le sixième Premier ministre de Mitterrand depuis 1981. Le gouvernement sera sans doute nommé dans la matinée. Nous attendons.
La matinée se traîne. À 10 h 30, Édith Cresson réunit une dernière fois son cabinet. À 11 h 10, Bérégovoy arrive à Matignon où il s’entretient quarante-cinq minutes avec Cresson. Rien ne filtre.
Mon frère (Alain Cotta) me dit que beaucoup de choses, hier, ont tourné autour de la présence de Michel Charasse au gouvernement. Mitterrand voulait l’imposer à Bérégovoy qui résistait. Pourquoi ? Parce que Mitterrand, qui veut une relance de l’économie, voulait que Charasse en soit le garant. Ce que Bérégovoy, hier, n’acceptait pas.
Donc, Bérégovoy la rigueur contre Charasse la relance ?
À 11 h 40, les communistes annoncent qu’ils n’accorderont pas leur confiance à Bérégovoy. À 12 h 40, les Verts annoncent leur décision de ne pas participer au gouvernement. À 16 h 40, le nouveau Premier ministre, seul au banc du gouvernement, ouvre la session de printemps de l’Assemblée nationale. À 17 heures, la Bourse est en hausse (+ 0,72).
19 heures
Coup de téléphone de Poperen, effondré : il vient d’apprendre qu’il ne fait pas partie du prochain gouvernement.
« C’est un gouvernement Fabius, me dit-il. Je ne pars pas, on me vide ! C’est ainsi que certains organismes se suicident. Nallet, Marchand, Jospin, Mermaz, Delebarre et moi, c’est sûr, nous partons ! »
Il ajoute : « Édith Cresson pense que Mitterrand a changé. Pas du point de vue intellectuel, non, mais il montre moins de résistance à Fabius ! »
Comme si c’était une maladie, une sorte d’Alzheimer rampant dont le symptôme serait la non-résistance à Fabius ! !
Poperen ajoute après un silence : « Mais Fabius, lui, n’a pas changé. Et surtout pas de méthodes ! »
Les rocardiens eux-mêmes seraient « bordurés » dans la prochaine combinaison gouvernementale.
Toute différente est ma conversation avec Jack Lang. Il affirme qu’il ne sait rien du mouvement en cours, sauf qu’Édith Cresson lui a confirmé le départ de Poperen.
« Que voulez-vous, on a retenu les meilleurs ! » ajoute-t-il sans grande modestie.
Le gouvernement Bérégovoy, me dit-il encore, aura à sa tête un homme rassurant, qui tiendra l’État : « À côté de lui, il y aura des novateurs au premier plan, au front ! »
Inutile de se demander où il se place lui-même. En tout cas, il sera dans le gouvernement.
Seul moment comique et inattendu de la journée, cette dépêche tombée à midi pile. « Les médias et les hauts fonctionnaires japonais expriment leur satisfaction. » Ils n’avaient pas oublié, depuis des mois, qu’Édith Cresson les avait comparés à des fourmis !
3 avril
La composition du gouvernement tombe à 22 h 30. Un gouvernement dit de combat, composé du dernier carré, de Bérégovoy à Mermaz, « sauvé » par Mitterrand, et des quelques personnalités « médiatiques » ayant survécu à la dernière année. Un gouvernement réduit à sa plus simple expression, sans centristes, hormis Jean-Marie Rausch, et sans écologistes.
Comment expliquer que ce gouvernement de combat soit amputéde toute une frange, celle des jospinistes ? N’est-ce pas l’affaiblir que d’en avoir chassé l’« éléphant » Jospin ?
Ah, le syndrome de Sigmaringen : chacun tente d’affaiblir l’autre alors que l’intérêt de tous serait dans l’union !
Édith Cresson s’en va, plutôt digne et courageuse, assez ravagée aussi. Comment se sortira-t-elle de ce rapide passage à Matignon ? Quel est son état d’esprit vis-à-vis de Mitterrand, ce soir ? Elle lui en veut, semble-t-il, de ne l’avoir à aucun moment soutenue, en tout cas depuis les élections régionales. Pouvait-il la soutenir plus longtemps ? c’est au contraire la question que l’on peut se poser. Et n’a-t-elle pas elle-même précipité son malheur ?
Libération comparait ce matin sa lettre de départ à celle de
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