Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

gouvernement. Il l’accuse d’avoir trop vite oublié que le Parti socialiste l’avait fait roi, et de revendiquer aujourd’hui, un peu vite, son indépendance vis-à-vis de lui.
    26 mars
    Dîner chez Bernard Volker avec le nouveau directeur du cabinet de Roland Dumas, Daniel Bernard, après le départ du précédent dans les conditions que l’on sait. Il raconte avec drôlerie comment, quelques jours après l’affaire Habache (il était directeur de cabinet depuis deux jours), un des anciens Premiers ministres afghans, la mâchoire cassée, demande à se faire rafistoler la tête à Paris. Tout le monde accepte : Dumas, Védrine, l’Élysée. Lorsqu’Édith Cresson est consultée, son sang ne fait qu’un tour. L’Afghan vole déjà vers Paris, via Moscou où il doit faire escale. Édith Cresson file chez Mitterrand et insiste tellement qu’elle finit par l’emporter : pas de Premier ministre afghan à Paris en ce moment !
    Daniel Bernard doit appeler en catastrophe l’ambassadeur de France à Moscou pour qu’il retienne l’Afghan à la tête cassée dans la capitale russe où un médecin français est dépêché d’urgence.
    27 mars
    Les Verts sont au centre de toutes les attentions, les dirigeants socialistes rampent à leurs pieds. Brice Lalonde leur tient la dragée haute. Pitoyable !
    L’opposition, elle, ne transige pas dans son refus d’alliance avec le Front national. Les consignes de Chirac sont respectées à la lettre. Une demi-bavure dans le Rhône, vite sanctionnée. Pour le reste, jusqu’à maintenant, pas d’alliance en sous-main, pas de faux discours. Attendons, ce soir, l’élection des présidents de région.
    La journée a commencé en effet par le refus des élus UDF d’élire le président du conseil en Haute-Normandie. Laurent Fabius attendra lundi prochain. Quant à Giscard d’Estaing, il vient d’être élutriomphalement en Auvergne. On signale quelques incidents à Marseille où Jean-Marie Le Pen déplore que la « violence se substitue au discours démocratique ». Parfaitement !
    À noter, parce que ce n’est pas indifférent dans le climat de cette journée, que Mitterrand n’a jamais gardé au gouvernement un ministre titulaire d’un siège et qui aurait été sanctionné par ses électeurs. Il accepte de garder ceux qui, ayant essayé de ravir un siège à l’opposition, n’y sont pas parvenus. Nuance.
    Chacun, au gouvernement, sait donc que sa place est en jeu.
     
    Dans l’après-midi, coup de téléphone de Claude Cheysson, bouleversé. Il me raconte, la voix brisée, comment Mitterrand a mis lui-même un terme aux activités de l’Arche de la Défense et de la Fondation des droits de l’homme. Déjà, il y a quelques mois, c’est contre l’avis du gouvernement que Nelson Mandela est venu visiter l’exposition de l’Arche sur l’immigration ou les discriminations, je ne me rappelle plus. À peine croyable : la voiture officielle qui le conduisait s’est arrêtée aux frontières de Paris, avant Neuilly ! Mandela a poursuivi sa route dans la voiture des organisateurs de l’exposition. Puis, au mois de décembre, Cheysson s’est vu signifier que le loyer de l’Arche étant trop élevé, mieux valait abandonner la Fondation des droits de l’homme. C’est Cheysson qui a plaidé auprès de Védrine les inconvénients qu’il y aurait à abandonner d’un coup, spectaculairement, ses activités, tout en soupirant que l’Élysée lui avait porté là un coup fatal. Décision a été prise d’éteindre « en biseau » les missions de la Fondation en organisant une ou deux expositions avant de mettre la clef sous la porte.
    Celle qui se prépare sera donc la dernière. Cheysson parle avec désespoir de Mitterrand qui ne lui a pas accordé d’entretien, et qu’il n’a pas revu. Depuis quand, au fait ? Depuis la guerre du Golfe.
    En veut-il à Mitterrand ? Se sent-il aujourd’hui répudié, en quelque sorte, après avoir cru en lui ? Il me raconte quelque chose de grave, que je note aussitôt. Il y a de cela plusieurs années, lorsque Claude Cheysson a annoncé à Mitterrand que Klaus Barbie pourrait être récupéré en Amérique du Sud, à l’escale de Cayenne où il était signalé, Mitterrand a commencé par s’y opposer. Il trouvait que le temps n’était pas venu, que la capture de Barbie présenterait plus d’inconvénients que d’avantages. Cheysson remet le sujet sur la table quinze jours plus tard. Mitterrand