Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
qu’il pointe comme une arme vers les députés qui l’écoutent et ajoute : « Comme je suis un homme prudent, j’ai amené ici une liste de personnalités ! »
Il est interrompu par une véritable bronca. La moitié des parlementaires de l’opposition, se disant insultée et menacée, sort en faisant le plus de bruit possible, tandis que Béré enchaîne sans tenir compte des réactions qu’il a inutilement provoquées : « Ce sont des personnalités extérieures à cette Assemblée, bien sûr. »
Il est trop tard. Le mal est fait. À partir de maintenant, tout ce qu’il dit n’a plus d’importance. Pierre Mazeaud, qui, dans les travées, est le maître incontesté des chahuts en tous genres, l’interrompt, le sommant de rendre publique sa liste !
Comment Bérégovoy a-t-il pu commettre une telle erreur ? Pourquoi, à l’occasion de ce premier discours qui porte le nom de discours de politique générale, a-t-il choisi la polémique sur les affaires ?
Il tente de s’expliquer : il n’a pas voulu polémiquer, il ne souhaite pas évoquer les affaires en cours d’instruction.
« Mais, ajoute-t-il, vous savez comme moi de qui il s’agit.
– Non, non ! hurle Mazeaud, relayé par ses collègues de l’opposition restés dans l’hémicycle.
– Comment, non ? insiste Bérégovoy. Je vous demande de croire que chaque fois qu’il y aura défaillance d’un homme public, je serai de la plus grande fermeté ! »
Après cet échange d’une dureté inutile, Bérégovoy continue son discours sans être véritablement écouté : à droite, le chahut continue. Du côté de la majorité, ministres nouvellement nommés et parlementaires s’interrogent, atterrés, sur l’écho que recevra, ici et ailleurs, la liste exhibée par Bérégovoy devant tous les députés, et perdent le fil du discours.
Moi aussi, qui ne note ici que sa dernière phrase : « Une partie n’est jamais perdue d’avance, il suffit d’avoir la volonté de convaincre, la volonté de gagner. Oui, j’ai confiance dans l’avenir du gouvernement ! »
Cette liste, tout de même, quelle maladresse ! Qu’est-ce qui a pu le décider à commettre pareille erreur ? A-t-il été irrité par les noms d’oiseaux dont l’affublaient, pendant qu’il parlait, les inévitables Mazeaud et Vivien ? Pourquoi l’avait-il en main ? Était-ce pour disposer de munitions en cas de polémique avec l’opposition ?
Peu importe pourquoi. La réalité est qu’il a donné de lui une image contraire à celle qu’il souhaitait afficher : il se voulait ouvert, consensuel, chaleureux. Il est apparu comme un accusateur public. Il s’est fait procureur alors qu’il se voulait enjôleur.
C’est d’autant plus contre-performant que ses propos étaient intéressants : arrêt des essais nucléaires, révision constitutionnelle et consultation sur Maastricht, annonce que le gouvernement ne changera pas le mode de scrutin pour les prochaines législatives – donc, pas de représentation proportionnelle.
Tout cela, balayé par un geste inutile ! Demain la presse ne retiendra que cela de son discours.
14 avril
François Mitterrand répond aux questions de journalistes sur TF1 et Antenne 2, de 19 heures à 20 h 30. Les journalistes ? Pas n’importe lesquels : Christine Ockrent et Anne Sinclair, toutes deux femmes de ministres en exercice (je les sais libres toutes deux, mais redoute le sort qui leur sera réservé dans la presse écrite), auxquelles s’ajoutent Jean-Pierre Elkabbach et Ivan Levaï.
Il parle de Maastricht, son grand dessein, et lance à son tour une véritable polémique. Constitutionnelle, d’abord : peut-il solliciter dans un premier temps l’accord des deux assemblées, et, s’il ne l’obtient pas, consulter les Français par référendum ? Ou bien est-ilobligé, conformément à l’article 11, de demander d’emblée un référendum ? Il semblerait que l’article 89 n’autorise à faire un référendum qu’après avoir obtenu un accord de l’Assemblée nationale et du Sénat, et l’interdise si on ne l’a pas obtenu.
Les juristes s’emparent de l’affaire tandis que Jacques Chirac, arguant que les modifications constitutionnelles sont trop importantes pour passer par la voie parlementaire, réclame un référendum immédiat. Pour Giscard, qui voit bien le danger d’un référendum sur l’Europe avant les législatives, le vote du Parlement paraît
Weitere Kostenlose Bücher