Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

au point mort, que Tranchant avait abandonné la partie. L’affaire a été, me dit-il, relancée non par l’opposition, mais par le Parti socialiste lui-même. La juge Boizette est certes, selon lui, de droite, mais c’est Pierre Truche, plus proche de la gauche, qui a relancé les choses.
    À l’en croire, c’est Fabius qui a mené l’attaque au sein du PS, parce qu’il tient à récupérer la fédération des Bouches-du-Rhône et veut donc aujourd’hui liquider Tapie, trop indocile (et dangereux) à ses yeux.
    « C’est injuste. J’ai essayé de trouver des idées, je me suis défoncé, personne n’avait de projets pour la ville, je me suis remué, j’ai convaincu les grands industriels – pour rien ! C’est ça qui me fout par terre ! »
    Très affecté par sa démission forcée, il prédit : « Dans un mois – comme cela, vous vous rappellerez que je l’ai dit –, trente-neufdéputés socialistes seront inculpés. Alors, faudra-t-il les faire tous démissionner ? C’est une grave erreur d’avoir exigé que je le fasse ! »
    Lorsqu’il interroge les autres et lui-même, en demandant, comme il le fait aujourd’hui devant moi : « Pourquoi tant de haine ? », il oublie les menaces constantes dont il assortit ses propos aux gens qui lui résistent, journalistes ou joueurs de foot. Il oublie, sans doute de bonne foi, sa morgue, pour ne retenir que son enthousiasme, son énergie ou ses passions. Il est là devant moi, le front barré par sa mèche rebelle, dans le superbe hôtel particulier qu’il occupe. Comment pourrait-il ne pas susciter la jalousie des uns, l’inimitié des autres ? La sympathie aussi, parfois : la preuve, je suis là.
    La différence qu’il fait entre Bérégovoy et Mitterrand ?
    « Bérégovoy, il m’a demandé de partir pour lui, pour son propre intérêt. Mitterrand, il l’a fait pour me protéger. »
    Comment opère-t-il ce distinguo subtil ?
    Mitterrand l’a invité chez lui, rue de Bièvre. Et Tapie de préciser : « Il a ajouté : “Venez donc, c’est très public, tout le monde sera au courant !” »
    27 mai
    Invité au JT de TF1, hier, Pierre Bérégovoy me raconte que c’est le samedi à 14 heures qu’il a pris la décision de se séparer de Bernard Tapie. Il en dit d’ailleurs quelques mots navrés. Il apparaît très sûr de lui, et m’assure, alors que je ne lui ai rien demandé, qu’il ne se présentera pas à l’élection présidentielle. Devant ma mine dubitative, il insiste : « Non, vous le verrez bien, je ne me présenterai pas en 1995 ! »
     
    Aujourd’hui, inculpation officielle de Bernard Tapie par le juge Boizette. Jean-Pierre Berthet, qui a assisté à son entrée dans le cabinet du juge, me l’a décrit de fort mauvaise humeur. Après son départ, Édith Boizette a reçu Berthet : « Il a vraiment beaucoup de charme, ce Tapie, convient-elle. Énormément de charme. Je comprends qu’il soit aimé ! »
    2 juin
    Censure à l’Assemblée nationale. Le coup est passé très près : trois voix ont manqué à l’opposition pour renverser Bérégovoy : celles de Raymond Barre, de Guillain de Bénouville, vieux complice de Mitterrand, et celle d’Alain Peyrefitte, qui prétend s’être trompé de vote !
     
    À l’issue du Conseil des ministres, annonce d’un référendum, en France, sur la ratification du traité de Maastricht. La révision constitutionnelle, elle, passera par la voie parlementaire. Un peu compliqué 36 .
    Explication orale d’Hubert Védrine que je rencontre sitôt après cette annonce :
    « De deux choses l’une : ou la révision constitutionnelle va jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’au Congrès, après un texte voté dans le même état à l’Assemblée et au Sénat ; ou bien ce processus tourne court, parce que le Sénat y met un terme, ou parce que le Président s’aperçoit qu’il n’obtiendra pas les 3/5 des voix, et, dans ce cas, le Président proposera un référendum sur la révision, ce qu’il ne souhaite pas. En tout état de cause, il y aura un référendum pour la ratification de Maastricht. »
    C’est bien ce que j’avais compris.
    Pendant ce temps-là, on apprend que le Danemark a rejeté par référendum le traité de Maastricht.
    Tout le monde a l’air content : les pro-Maastricht parce qu’ils estiment que le rejet danois amènera les Français à prendre conscience de la nécessité d’adopter le texte du traité, les