Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
qu’il serait soutenu, contre Charles Pasqua, par une partie du groupe socialiste. Le mot d’ordre est : pas de Pasqua, à aucun prix ! Jean François-Poncet, en piste, paraît, depuis la guerre du Golfe, trop lié à Mitterrand. Et Pierre-Christian Taittinger, trop peu gagneur pour s’imposer.
21 mai
Dîner avec Jean-Pierre Soisson que je n’avais pas rencontré depuis son élection au Conseil régional de Bourgogne. Il avait vu Bérégovoy la veille, et décrit avec un œil allumé la mine gourmande de celui-ci en apprenant que les sondages le créditaient de 56 % d’opinions favorables, et sa mine allongée à l’idée que le président de la République puisse lui en tenir rigueur 34 . Bérégovoy lui a dit : « Je m’étais mis tout à fait dans la peau d’un Premier ministre, et je n’ai pas été surpris par ce rôle. Fasse le Ciel que je ne commence pas à me mettre dans la peau d’un président de la République ! »
Ahurissante confidence en forme de déni psychanalytique... Un homme politique a dit – Pompidou, je crois – que dès qu’un Premier ministre gravissait le perron de Matignon, il pensait déjà à celui de l’Élysée !
Les propos les plus intéressants de Soisson tiennent surtout à l’aide que Mitterrand, assure-t-il avec force, lui aurait apportée pendant le week-end où lui, Soisson, entreprit de conquérir la présidence de son assemblée régionale dans des conditions difficiles entre droite, gauche et Front national. « Êtes-vous sûr de votre victoire ? lui a demandé Mitterrand au moment où Soisson l’a consulté sur la marche à suivre. Si vous en êtes sûr, foncez, on ne vous tiendra pas longtemps rigueur de l’étiquette des gens qui ont voté pour vous ! Mais vous ne pouvez pas vous permettre d’échouer. »
Traduction : l’essentiel est de se faire élire, peu importe comment !
D’où la surprise de Soisson, dit-il, lorsque, dès son élection, Édith Cresson lui a demandé de démissionner du gouvernement.
Ce qui prouve – mais avait-on besoin de preuves ? – que Mitterrand ne porte pas de jugement moral sur le phénomène Le Pen : il n’a qu’un jugement politique. Il pense que les électeurs qui votent Le Pen ne lui appartiennent pas, qu’il s’agit de les lui reprendre, si on s’en sent capable.
Se peut-il qu’il ne ressente pas de la même manière que d’autres les dangers, les poisons du Front national ?
Toutes interrogations qui n’existent que si Jean-Pierre Soisson dit vrai !
Chez Paul Lombard, à déjeuner, Roger Thérond raconte cette petite histoire : hier, dans un dîner, un convive pose à Édouard Balladur cette question : « Pourquoi le RPR est-il entré dans le piège de Maastricht, comment s’est-il divisé ? » Réponse de Balladur, mi-citron, mi-orange : « Que voulez-vous, nous nous haïssons ! »
24 mai
Hier, samedi 23, à 21 h 18, Bernard Tapie a démissionné du gouvernement. Il aura été ministre cinquante-deux jours. Son inculpation, qui devait lui être signifiée lundi et qui a été reportée de quelques jours, est maintenant acquise.
Pierre Bérégovoy a pris cette décision vendredi soir. Quand en a-t-il prévenu Bernard Tapie ? Quand Mitterrand a-t-il été mis au courant ?
Un directeur de chez Bouygues me dit qu’il a déjeuné avec Tapievendredi après-midi, le 22 mai. Celui-ci était déjà, paraît-il, abattu, nerveux.
Trois événements ont précipité la décision de Bérégovoy. Le premier est l’inculpation elle-même. Apparemment, le Premier ministre ne savait pas qu’elle était pendante dans l’affaire Toshiba 35 . Le deuxième est la montée au créneau des socialistes au comité directeur de samedi : Laurent Fabius a estimé que la convocation de Bernard Tapie par le juge Édith Boizette, mercredi prochain, posait un problème dont, ajouta-t-il, « nous avons tous conscience ». Un peu plus tard, devant les journalistes, Pierre Mauroy l’a lâché d’une phrase : « Tapie n’est pas ma tasse de thé ! » Troisième épisode, enfin : la réaction à l’interview de Bernard Tapie, la veille, dans l’émission « Objections ». Il y a mené une violente charge, une mise en cause des juges – du juge Boizette notamment – qui ont indigné les magistrats.
25 mai
Vu Bernard Tapie chez lui, en survêtement. Ému, bouleversé, presque les larmes aux yeux, il me dit que, lorsqu’il est entré au gouvernement, l’affaire était
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