Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

anti-Maastricht parce que le « non » danois va les faire réfléchir.
     
    Plus tard dans l’après-midi . Les choses vont si vite que je peux à peine les suivre !
    L’Angleterre ajourne son propre débat parlementaire sur Maastricht, arguant du fait que le rejet danois change beaucoup de choses.
    Léo Hamon, que je rencontre, vieux gaulliste indélébile, âgéaujourd’hui plus de 80 ans, me lance, ravi : « Alors, ils l’ont dans le cul, hein ! »
    De son côté, Philippe Séguin, réjoui lui aussi, me confie que le Sénat risque bien, mardi prochain, d’ajourner définitivement le débat sur le traité européen.
    Passant à l’antenne au 20 heures, pendant que je résume mon après-midi sur ce cahier, Giscard prend ses distances avec le RPR : il confie que cette Europe, celle du traité, est la sienne – libérale, interdisant toute nationalisation. Je pense à la tête de tous les socialistes qui l’écoutent.
    Au fond, il est ravi, Giscard. Il ne demandait pas le référendum, et il feint de regretter que Mitterrand ait pris le risque de soumettre un projet aussi capital au pays par la voie référendaire. Lui, en réalité, est tranquille, puisque l’Europe qu’on lui propose est la sienne. Si le référendum passe, sa position aura été claire de bout en bout. Il en aura au surplus profité pour « bordurer » Chirac, Pasqua, Juppé, Séguin et consorts. S’il ne passe pas, ce ne sera pas sa défaite, mais celle de Mitterrand.
    5 juin
    Inauguration, hier soir, du grand cinéma Gaumont Place d’Italie. Chirac préside la cérémonie. Surprise : il entame son discours par une phrase liminaire qui laisse l’assistance sans voix : « Du haut de mon incompétence... », dit-il, qu’il fait immédiatement suivre d’un hommage à Beineix, qu’il appelle Benêt !
    Cette anecdote, qui me fait rire aux larmes, est révélatrice de l’absence de réelle motivation de Jacques Chirac en ce moment. De son absence de réflexion, aussi, du peu de temps qu’il passe à élaborer ses textes et à justifier ses avis. Maastricht, à propos de quoi aucun travail préalable n’avait été entrepris à l’intérieur même du RPR, est, si j’ose dire, dans la ligne de « Benêt ».
    Le maire de la capitale aurait tout de même pu se renseigner sur la prononciation du nom de Jean-Jacques Beineix !
     
    Mitterrand a choisi de parler de l’Europe à Sciences Po, cette après-midi. Façon de mobiliser les jeunes autour de la future consultation. On imagine le déploiement des forces de sécurité, rue Saint-Guillaume, l’agitation chez les professeurs et les élèves, l’entassementdans la salle Émile-Boutmy, et puis son arrivée, assez simple, dans l’amphithéâtre où un silence attentif plus que respectueux s’installe d’un coup.
    Il a, pour commencer, une phrase qui plaît aux étudiants : « J’ai choisi le référendum parce que c’est risqué. C’est risqué pour l’Europe, et c’est risqué pour le président de la République. » Ses thèmes : la continuité de la politique française, l’insuffisance de l’Europe des marchands, le poids du duo France-Allemagne dans la construction européenne. Et, pour finir, il dit sa conviction : « Cette grande cause est plus importante que le gouvernement ou que le Président ! »
    J’écris « conviction », car, de plus en plus, je me rends compte que sa seule ambition, son grand dessein, celui de toute sa vie politique, est la construction de l’Europe. De cela aussi les étudiants de Sciences Po, l’ayant entendu, sont convaincus.
    8 juin
    Le Mouvement européen, présidé par Jean François-Poncet, organise une série de réunions publiques à deux têtes – UDF et PS – sur l’Europe. Ainsi Giscard accompagnera-t-il Élisabeth Guigou, ainsi Raymond Barre devrait figurer sur la même tribune que Pierre Mauroy. Certains autour de moi s’en indignent. Je ne vois pas, moi, où est l’offense à la morale politique. Le clivage gauche/droite se résorbe ou se déplace souvent dès que l’on touche à la politique extérieure.
    En revanche, l’idée que, quelques semaines seulement après avoir harangué les foules sur les mêmes tréteaux, Mitterrand et Giscard s’opposent lors des élections législatives est intéressante à explorer...
    9 juin
    ... D’autant plus que le RPR s’indigne, hier en fin de soirée, de voir Giscard participer au meeting de Sélestat aux côtés d’Élisabeth Guigou. Le