Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Drucker est nul, un an plus tard ? Il aurait tout de même pu lui laisser une chance, résister aux consignes qui lui ont été données. Même éviction de Jean-Noël Jeanneney, de Jeannine Langlois-Glandier, remplacée à FR3 par René Han. De René Han,Edgar Faure me dit le soir même : « Il est chinois et RPR. Parions qu’il n’a pas été nommé parce qu’il est chinois ! »
Seul Bourges reste à son poste à TF1, jusqu’à la privatisation prévue dans quelques mois.
8 décembre
L’Histoire s’est emballée en l’espace de quelques jours. Hier, un groupe de voltigeurs, ces policiers à moto tout spécialement formés pour les manifestations de masse, a tué sous un porche d’immeuble un jeune homme, Malik Oussekine, qui cherchait à s’y réfugier.
Tant que les étudiants et lycéens se mobilisaient, une fois, deux fois, trois fois, fin novembre et début décembre, la situation, dégradée, était néanmoins maîtrisable. Il y a bien eu la gaffe de Devaquet qui a déclaré, avant la manifestation du 27, qu’il attendait de savoir si la mobilisation étudiante restait assez forte : rarement gouvernement a donné au plus indifférent des manifestants une raison aussi puissante de venir crier son mécontentement.
Tant qu’on en était là, pourtant, tout restait possible : la modification de la loi, son infléchissement, une nouvelle négociation. L’apaisement, en un mot. C’est, paraît-il, la recommandation qu’avait donnée à Chirac le ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, qui avait conseillé la souplesse au Premier ministre, il y a quelques jours, avant son passage sur TF1. Maintien du projet, oui, avait plaidé Pasqua, craignant, a-t-il dit à Matignon, que la rue ne dicte sa loi. Réécriture du projet de loi, sans doute. Son enlisement, peut-être. Le recul, sûrement. Revenir sur l’autonomie, enterrer le principe de la sélection. Mais surtout pas de retrait pur et simple.
Entre Charles Pasqua et François Léotard, qui, lui, exhortait fortement Chirac à ne pas couper le gouvernement de la jeunesse du pays, c’est-à-dire à retirer le texte Devaquet, le Premier ministre avait tranché en faveur de Charles Pasqua.
François Mitterrand avait plaidé lui aussi pour un retrait de la loi. Ce qui a été suffisant, peut-être, pour convaincre le Premier ministre de ne pas le faire.
Tout change, désormais, avec la mort de Malik Oussekine. Les violences policières, la défense de la République, les casseurs, tout cela fait partie du lot habituel des manifestations et des contre-manifestations étudiantes. La mort d’un homme a d’un coup fait basculer le monde politique dans la crise.
Chirac n’a pas attendu longtemps pour retirer ce maudit texte de loi. Un ouf de soulagement général a salué sa décision. De Giscard à Balladur, de Léotard à Jospin, le monde politique a respiré.
Quel rôle a joué dans la décision de Jacques Chirac les quelques mots qu’il a échangés samedi soir avec Mitterrand ? Même si le Premier ministre ne veut pas le reconnaître, il a bien été obligé de tenir compte de la pression, muette ou explicite, exercée par le Président. Dimanche matin encore, lorsque François Léotard est venu le supplier de retirer la loi Devaquet, il ne lui avait pas paru convaincu. Léotard était sorti de Matignon atterré. Finalement, c’est Édouard Balladur, on me le dit autour de lui, qui a entraîné la décision. Le ministre des Finances s’est chargé lui-même de parler à René Monory de la nécessité politique de retirer sa loi et de reculer en rase campagne.
Cette crise laissera des cicatrices. Entre Chirac et les jeunes, sûrement. Entre Chirac et le président de la République, sûrement aussi. Entre le Premier ministre et François Léotard, les choses ne s’arrangeront pas non plus de sitôt.
Ce qui me fascine, c’est le rôle qu’a tenu Balladur depuis quelques jours. Un rôle qui n’est pas celui de ministre des Finances, mais de Premier ministre bis. Quand je pense que c’est lui, et pas Chirac, qui a été chargé de prévenir Monory et Devaquet de la volte-face du gouvernement, je me dis que dans une crise devenue purement politique, il a non seulement convaincu le Premier ministre, mais il a fait aussi son boulot.
15 décembre
Toujours Édouard Balladur, pour l’occasion redevenu uniquement ministre des Finances. Il a choisi hier dimanche pour annoncer spectaculairement la réussite de la privatisation de
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