Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
raconte-t-il, était un pugilat permanent. Pour Jacques Chirac, l’élection deFrançois Mitterrand a toujours été un accident historique dû à son habileté diabolique, et, surtout, à la maladresse de Giscard. Jacques Chirac, poursuit-il, n’avait aucune considération pour Mitterrand. À peine eut-il mis un pied à Matignon qu’il essayait déjà de couper Mitterrand du maximum de sources d’information. Mitterrand a rendu coup pour coup. Jean-Louis Bianco et Maurice Ulrich 30 étaient courtois l’un envers l’autre, sans plus. Le conflit était permanent. Il s’agissait d’une cohabitation dure, dont Mitterrand est sorti vainqueur. »
Rien de comparable, m’assure-t-il, avec ce qui se passe aujourd’hui, et ce, pour plusieurs raisons. L’essentielle est que François Mitterrand n’est plus candidat, et qu’il n’est plus ressenti comme un dangereux adversaire potentiel. « En 1986, il y avait deux rivaux, deux hommes de caractère différent qui cherchaient l’affrontement de part et d’autre. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : Balladur n’est pas candidat, Mitterrand ne le sera plus. L’intérêt national est prioritaire. »
La seconde raison est qu’entre les deux hommes il n’y a pas de cadavre, pas de passé, pas de vieille lutte historique.
Tertio : Édouard Balladur est naturellement courtois, maître de lui. « Il a réfléchi, m’assure Védrine, sur la période de 1986 à 1988 : il a analysé les erreurs commises pas Jacques Chirac. Il ne les reproduira pas. D’ailleurs, les Français condamneraient aujourd’hui sévèrement toute sorte de pugilat au sommet. »
Et puis le fait qu’Édouard Balladur connaisse bien, de l’intérieur, la mécanique de l’Élysée est important. C’est pour cette raison qu’il respecte la fonction présidentielle : il ne veut pas casser la machine. Il ne se lancera pas dans des guérillas stupides, pas plus que dans des manœuvres conjoncturelles qui risqueraient de la menacer.
Quant à l’information entre l’Élysée et Matignon, Védrine se félicite aussi de sa bonne marche, qui passe par une relation constante avec Nicolas Bazire. « Bazire est un homme très agréable, me dit Védrine. Il est libre d’esprit, sans langue de bois. » Les deux hommes s’appellent quatre ou cinq fois par jour. Il me cite comme exemple de bon fonctionnement de la cohabitation le récent voyage de Balladur à Bonn, le 22 avril : « Le Premier ministre s’est rendu à Bonn, me dit-il. Dès le lendemain, nous avions le compte rendu de sa visite. »
Même entente à propos de la négociation sur le GATT 31 : il n’y a pas, sur ce sujet, de divergences entre gauche et droite. Ce qui compte, ce sont les intérêts français. » À ce sujet, le mémorandum élaboré par Matignon n’a été envoyé qu’après avoir été soumis au Président. Selon mon interlocuteur, « la cogestion du domaine partagé est sans précédent ».
Dans le secteur international, les liens entre Matignon et l’Élysée sont organisés et systématiques : Thierry Berr, de l’Élysée, est en contact permanent avec Thibault de Silguy, de Matignon, sur l’Europe. Bruno Delaye, faubourg Saint-Honoré, et Bernard de Montferrand, rue de Varenne, échangent également leurs informations et se tiennent au courant de tout ce qui concerne l’Afrique. Pour les sommets, Anne Lauvergeon, du cabinet présidentiel, est associée à toutes les réunions qui se déroulent à Matignon. Le conseiller diplomatique de l’Élysée est en liaison constante avec le cabinet de Juppé et celui de Léotard. Le général Queneau, chef d’état-major particulier du Président, travaille avec les chefs des cabinets militaires de Balladur et de Léotard.
Égale harmonie à l’occasion du Conseil restreint qui se tenait traditionnellement, depuis plusieurs mois, à l’issue du Conseil des ministres du mercredi. François Mitterrand a dit qu’il souhaitait le maintenir. Il réunit donc chaque semaine, autour de lui, le Premier ministre, François Léotard et Alain Juppé 32 , Alain Lamassoure, le général Lanxade 33 , les chefs des cabinets militaires, des conseillers diplomatiques comme Boidevaix, et aussi évidemment Hubert Védrine. Autres réunions hebdomadaires à l’Élysée : les tête-à-tête avec François Léotard et Alain Juppé. Quant aux rencontreshebdomadaires entre le Président et le Premier ministre, elles se passent à huis clos : personne n’en fait
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