Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
révèle qu’à sa connaissance Mitterrand n’a émis que deux protestations depuis ledébut du gouvernement Balladur, dont l’une sur le remplacement du directeur des Affaires criminelles et des Grâces, Franck Terrier, « pour des raisons de fidélité, selon elle, à Pierre Bérégovoy ».
17 juin
Président de l’Assemblée nationale, Philippe Séguin a lancé un énorme pavé parmi la majorité balladurienne. Cet homme est décidément inattendu. Rien ne laissait prévoir une sortie pareille. En un seul discours, prononcé à l’occasion du « Forum du futur 37 », il vient de s’approprier la scène politique que Balladur occupait seul jusqu’à présent. Il vient de réveiller les antagonismes et d’imposer le débat.
Il a prononcé hier quelques phrases fortes qui marqueront les esprits ou feront grincer les dents. Tout ce que ce frondeur aime, en somme : un discours tonitruant, non pas dans la forme, car sa voix est toujours la même, basse, sombre, mais sur le fond ; il a appelé à « un renversement complet des valeurs et des choix fondamentaux » en faveur de l’emploi, en dénonçant au passage le culte de l’orthodoxie monétaire. Il a suggéré la disparition du GATT, qualifié au passage d’« ersatz », a condamné la politique du franc fort, dénoncé « le conformisme étroit et mou », « le prêt-à-penser triste, morne et proprement dictatorial », et « stigmatisé le libre-échange qui ligote l’agneau européen ».
S’il approuve la future loi quinquennale proposée par le gouvernement sur l’aménagement du temps de travail, il n’en a pas moins qualifié, au terme de son discours, de « Munich social » la politique du gouvernement Balladur. Pourquoi Munich ? Parce que, comme en 1938, « nous retrouvons – ma citation est exacte au mot près – les mêmes éléments : aveuglement sur la nature du péril, absence de lucidité et de courage, cécité volontaire sur les conséquences des décisions prises ».
J’ajoute quelques considérations sur l’État, la Nation, l’Europe, l’identité de la France. Eh bien, quelle charge ! Et ce, à quelques jours du sommet des pays industrialisés qui doit se réunir à Copenhague. Choisir ce moment pour proposer une autre politique pour la France, il fallait le faire !
18 juin
Philippe Séguin, le provocateur, l’empêcheur de gouverner en rond, a donc fait entendre sa musique. Et quelle fanfare ! Celle d’une fraction importante des gaullistes qui s’inquiètent aujourd’hui de la politique menée par Édouard Balladur avec le concours des ministres UDF. Celle des anti-maastrichtiens de tous les camps, qu’il retrouve aujourd’hui comme en 1992, au moment de la campagne du référendum. Celle, enfin, des députés RPR de la commission des affaires sociales de l’Assemblée qui, avant-hier, ont dit leur malaise à l’occasion de l’examen en commission du projet de loi sur le développement de l’emploi et de l’apprentissage, qu’ils ont trouvé timoré. Les mêmes avaient déjà qualifié de « coquille vide » la politique sociale défendue par Michel Giraud 38 .
Les propos de Séguin ont cloué de stupeur et d’indignation l’équipe de Matignon qui ne s’attendait pas à être mise en cause par sa propre majorité : le président de la République apaisé, le Parti socialiste muet, les sondages au zénith, Balladur pensait avoir bien plus de temps devant lui. En outre, il est d’un tempérament ombrageux. Il était à Lyon, hier, il a eu une première phrase distante : « C’est de la politique. » Il a ajouté qu’il ne fallait pas affaiblir la confiance des Français 39 . En revanche, il a fait donner la troupe : Gérard Longuet a parlé du « contresens historique » de Philippe Séguin, le reste des ministres multipliant les prises de position choquées par les propos du président de l’Assemblée nationale.
Même si, dans sa manière d’être et de réagir, Balladur est resté d’un laconisme très anglo-saxon, je parierais qu’il ne pardonnera pas de longtemps à Philippe Séguin d’avoir gâché ses premiers pas de Premier ministre.
22 juin
Je vois Séguin aujourd’hui à l’hôtel de Lassay, dans son bureau d’où, comme une araignée dans sa toile, il ne sort guère, sauf pour présider les séances. Il me parlera plus tard, me dit-il, de ce qu’il entend réformer dans le travail parlementaire. Visiblement, aujourd’hui, ce n’est pas
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