Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
le compte rendu.
Une règle s’impose à Hubert Védrine : « À l’extérieur, le Président ne doit jamais être mis en position, devant nos partenaires, d’être lâché par le gouvernement. Ce serait un péché mortel. »
Pour le reste, c’est-à-dire pour tout ce qui ne touche pas au secteur réservé, c’est-à-dire l’économique, le social, le politique, « le gouvernement, assure Hubert Védrine, mène sa politique. Le Président n’a rien à dire. Il ne dit donc rien : cela ne veut pas dire qu’il approuve tout. Il n’y a pas de confusion entre les deux domaines ».
Résumé de la sorte, ce petit bréviaire de la cohabitation me paraît idyllique. Védrine a raison : il ne faut pas que l’Élysée le claironne trop haut ; les socialistes, les anciens ministres surtout, restés sur le bord du chemin, pourraient en prendre ombrage.
« Tout cela, conclut Védrine, place Balladur dans une situation en or : il a aujourd’hui beaucoup plus de pouvoirs que s’il était Premier ministre de Jacques Chirac. Quant à François Mitterrand, il est stimulé : pour lui aussi, c’est un nouveau challenge. J’avoue que la situation est originale. »
La cohabitation mode d’emploi... Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Lorsque je quitte le bureau d’Hubert Védrine à l’Élysée, j’en suis à me dire que c’est peut-être cela, le mode de gestion idéal du pays : un Président de gauche, un Premier ministre de droite, ou vice versa, les deux travaillant dans un climat de cohésion parfaite, main dans la main. Ah, j’oubliais : il faut aussi que les entourages soient décidés à ne pas glisser des grains de sable dans la machine. « Nous ne devons pas, nous, membres du cabinet présidentiel ou du Premier ministre, insiste Védrine, permettre que le Président et le Premier ministre arrivent à un sommet avec des divergences qui soient de notre fait. Nous devons tout faire pour éviter que les autres pays profitent de nos différences. »
Au fond, la cohabitation nécessite les mêmes vertus qu’un mariage de raison : il faut penser à l’autre, ne pas lui faire ce qu’on n’aimerait pas qu’il nous fasse, en y mêlant un peu d’intelligence et de considération.
Le lendemain
Faute de temps, je n’ai pas tout raconté dans les notes qui précèdent de ma journée d’hier. En sortant du bureau d’Hubert Védrine,j’ai rencontré Maurice Bennassayag, un proche du Président venu des milieux de gauche, qui est en quelque sorte l’antenne de Mitterrand au PS et ailleurs, dans les différents clubs et mouvements qui se cherchent après l’échec de mars dernier. Il voit très souvent Mitterrand, me dit-il, et lui a fait récemment quelques notes sur l’évolution des socialistes. Mitterrand a interdit aux membres de son cabinet d’assister aux différentes réunions des courants. Ils peuvent en revanche assister aux séances du comité directeur. « Pour le moment, me dit-il – et, j’en suis sûre, Mitterrand pense comme lui –, le Parti socialiste n’est pas audible... Il faut une nouvelle légitimité à Michel Rocard 34 . »
Il pense que l’équation de Rocard est à la fois simple et compliquée. Ou bien Rocard, donc, retrouve une légitimité et devance Jacques Delors dans les sondages, et il peut être candidat en 1995. Ou bien Rocard ne parvient pas à décoller, et le Parti désignera Delors pour la présidentielle.
Quittant la politique intérieure, je le questionne sur la cohabitation pour savoir s’il partage le même sentiment qu’Hubert Védrine sur l’harmonie qui règne au sommet. Oui, il est tout à fait du même avis.
« Je n’espionne pas le Parti socialiste pour le compte de Mitterrand, me dit-il encore, je veux simplement éviter que la cohabitation aille se briser pour des queues de cerise. Dans le domaine partagé, le Président et le Premier ministre ont décidé de présenter un front uni. Pas question que le PS aille gripper la machine ! » D’autant moins que les problèmes internationaux qui se profilent obligent la France à la cohésion. « Mitterrand, confie-t-il, pense que la situation en Bosnie est une douce plaisanterie par rapport à ce qui nous attend au Caucase, au Kosovo, en Macédoine. Il veut parfaire l’Europe, seul rempart contre les dangers qui s’accumulent. C’est son premier enjeu, le plus important. »
Il me confirme que, pour tout ce qui n’est pas du domaine partagé, le
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