Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
qu’attendre. »
Autre sujet qui le tourmente : l’interview de Pasqua au Monde , hier ou avant-hier. Il ne fait aucun doute à ses yeux que Charles Pasqua est en train de basculer dans le camp de Balladur. Cela ne m’étonne pas. Je me rappelle la phrase qu’il m’a dite un jour : « Notre problème, c’est Chirac. » Pasqua ne croit plus, depuis 1988, que Chirac puisse être élu président de la République. Ce qui est inattendu, c’est qu’après avoir tant fait pour séparer Chirac de Balladur, dans les années qui ont suivi le second échec de Chirac à la présidentielle,il se rapproche aujourd’hui du second. Une seule explication : il n’a pas recouvré la foi en Chirac, et, après tout, puisque Chirac a voulu que Balladur soit à Matignon, il n’y a pas de raison d’être plus royaliste que le roi. « Pasqua a déjà choisi son camp, me répète Bernard Pons. Il n’y a que Jacques Chirac qui ne s’en aperçoive pas. »
Puis il fait le point sur ceux qui sont restés fidèles au maire de Paris et sur ceux qui s’apprêtent à prendre le large. « Jacques Toubon est fidèle à Chirac, me dit Bernard Pons en me quittant, mais (sourire ravi) moins que moi ! »
23 novembre
Du rapprochement entre Balladur et Pasqua je vois une illustration criante aujourd’hui : les deux hommes ont présenté ensemble aux parlementaires le projet d’aménagement du territoire cher au cœur du ministre de l’Intérieur, projet dont il dit qu’il dominera les vingt prochaines années. Dans son intervention, que je trouve d’ailleurs bien ficelée, le Premier ministre insiste sur l’« ouverture », sur la nécessité, pour la majorité, de tenir sa légitimité non pas de quelques-uns, mais de tous. Traduction facile : pour établir sa légitimité à lui, le Premier ministre n’a pas seulement besoin d’avoir derrière lui, uni, le RPR, mais il doit s’ouvrir à tout le reste de la majorité, donc centristes et UDF compris.
Étant donné le parterre qui l’écoute, au premier rang duquel Jacques Chirac, ce discours est assez courageux. À peine Balladur a-t-il fini de parler que Jacques Chirac se lève et s’en va, laissant les parlementaires dans l’incertitude, sinon dans la désolation.
Je crois comprendre pourquoi. Il s’agit en effet pour lui de quelque chose de grave que personne dans la salle n’a peut-être perçu : le discours de Balladur n’est plus celui d’un Premier ministre. À partir du moment où il définit lui-même les contours de la majorité, il devient présidentiable.
L’attachée de presse de Chirac, Lydie Gerbaud, me dit : « Il a été bon, très bon. » C’est de Balladur qu’elle parle ainsi, la mort dans l’âme. Meilleur il est, plus grande est, chez les chiraquiens, la consternation.
En revanche, Michel Noir, que je rencontre tout de suite après le discours du Premier ministre, me dit qu’il a beaucoup d’estime pourlui : il a travaillé à ses côtés de 1986 à 1988. Il me décrit longuement le personnage qu’est à ses yeux Édouard Balladur. Il m’en fait en peu de mots un anti-portrait de Jacques Chirac : Balladur est un homme qui « vit dans la durée, pas dans l’agitation », et qui réfléchit avant d’agir. Un homme d’union entre le RPR et l’UDF. « En quelques semaines, il est parvenu à imposer son personnage : douceur de la voix, rondeur, jamais de stress, un calme absolu, le symbole de la sérénité et de la sécurité. »
Le phénomène Balladur va-t-il durer ? Réponse enthousiaste : « Cela durera. Les réponses qu’il apporte sont durables. Sa popularité aussi. Une solution a été trouvée entre Chirac et Valéry Giscard d’Estaing : entre eux, désormais, il existe un troisième homme : Édouard Balladur. »
Suit toute une explication de l’affaire Botton qui, me dit-il, est en train de « foutre en l’air sa carrière » à Lyon et à Paris. « Je n’avais pas en tête ma carrière lorsque, en 1989, j’ai lancé le mouvement de rénovation au RPR. Je n’en avais pas besoin pour me faire connaître. J’ai été propulsé très haut, constate-t-il avec tristesse. Aujourd’hui, je suis dans les basses eaux. » Il est plus qu’abattu à l’idée de ce qui l’attend : les juges (il y en a huit) vont enquêter sur les comptes de la campagne électorale lyonnaise. Tandis que sa famille est directement atteinte par les accusations de son gendre, Pierre Botton. « Pas un
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