Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
jeunesse : « Il faut aller au-devant des jeunes, à leur contact, ce qu’on ne fait jamais assez. Il n’y a chez les jeunes aucun rejet de la politique. Il y a même une certaine curiosité, une ouverture. Je ne cesse de dire à nos amis députés et sénateurs de discuter, de dialoguer avec les jeunes... Et puis, continue-t-il, ce qui est plus angoissant, c’est que nous essayons de leur parler avec des méthodes et des instruments dépassés. Il faut essayer au contraire de perdre nos traditions, nos habitudes de langue de bois. »
Le maire d’Arles croit alors nécessaire de mettre son grain de sel : « Il y a deux sortes de jeunes... », commence-t-il.
Chirac l’interrompt : « Oui, les garçons et les filles ! »
Les autres questions fusent : les associations – leurs moyens doivent être augmentés ; les femmes – « à Paris, dit-il, 40 % de femmes ont été élues au conseil municipal ; on peut encore progresser... ».
Il commence à trouver le temps long, regroupe les questions, puis prend poliment congé. Chacun a l’air content de s’être vu consacrer du temps.
« Vous voyez, me dit Jacques Chirac en remontant dans sa voiture, les hommes politiques commettent souvent la même erreur. Ils passent quelques minutes quelque part, détalent ailleurs, et ne se rendent pas compte que ça ne sert à rien. Les gens veulent qu’on leur consacredu temps, pas qu’on les expédie entre deux portes. Ils en veulent à ceux qui filent dès qu’ils le peuvent. C’est pourquoi il faut rencontrer les Français longuement, même lorsqu’il n’y a pas d’élections, lorsqu’on peut le faire. »
Dans l’avion du retour, je reviens sur la rivalité possible avec Balladur : alors, que va-t-il se passer entre eux, qui sera candidat ? les deux ?
Il me cite Malraux qui disait des gaullistes, il y a longtemps, en 1947 : ce sont des loups qui s’entre-égorgent, mais qui chassent en meute. S’entre-égorger : c’est donc ainsi qu’il ressent la lutte, sans doute maintenant inévitable, entre Balladur et lui.
Où sont ses alliés au RPR ? Pasqua ? « Oh, me dit Chirac, lui, il ménage la chèvre et le chou. Il s’est réconcilié avec Balladur. C’est une réconciliation factice, parce qu’il sait très bien que Balladur l’éliminera, s’il gagne. »
La position de Philippe Séguin ? « Il pense, lui, que Balladur n’osera pas se présenter ».
Celle d’Alain Juppé ? Aucun doute pour Chirac : il est à ses côtés. Sa position au gouvernement explique seule son silence. Chirac ne doute pas un instant de lui.
Les autres ? En dehors des proches, ils attendent d’où va souffler le vent. Chirac ne me dit pas les choses comme ça, mais c’est ce que je comprends. Il fait mine de prendre toute cette agitation, qui n’est encore que de l’agitation, avec philosophie, et même parfois amusement. Mais parlerait-il des ralliements des uns ou des autres à Édouard Balladur, de la fidélité que lui manifestent tels ou tels, s’il ne pensait pas à un affrontement inéluctable ? Si c’était le cas, Chirac irait-il quand même jusqu’au bout, quitte à se présenter en même temps ou contre Édouard Balladur ? Je n’en doute pas un seul instant.
Il bifurque – montrant ainsi que la discussion sur Balladur est terminée – sur les négociations du GATT, qui ne tournent pas aussi bien, pour le moment, que le souhaiterait Matignon. « Ah, ah, dit-il avec son air potache, le GATT, ça se gâte !... Je ne crois pas que les Américains vont céder quoi que ce soit, dit-il plus sérieusement. Si les propositions sont convenables, je m’en réjouirai. La question se pose de savoir ce que feront les Allemands : jusqu’où nous soutiendront-ils, notamment s’ils attendent en retour que Francfort soit choisie comme siège de la future Banque européenne, et ce que fera le Conseil européen du 2 décembre.
– Et la position de Balladur ?
– Il est convaincu que la France ne peut pas céder sur tous les terrains : sur l’agriculture, sur la production européenne, sur les services... Il craint évidemment une agitation paysanne dans les mois qui viennent.
– Et vous ?
– Je pense profondément – et là, d’un coup, il ne plaisante plus du tout sur “le GATT qui se gâte” – que la réflexion européenne, telle qu’elle est exprimée par la réforme de la PAC ou par l’accord de Blair House, est mauvaise. Mauvaise parce qu’elle est
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