Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
contexte n’est pas indifférent pour l’issue de la présidentielle : il lui paraît clair que, dans ce cas, si le chômage, aujourd’hui problème numéro 1 d’Édouard Balladur, vient à baisser, le Premier ministre sera le premier à en bénéficier.
En attendant, à Matignon, malgré l’irritation liée à l’épisode de la révision de la loi Falloux, la tranquillité règne. Bazire me cite cette phrase de Nicolas Sarkozy qui est en quelque sorte son alter ego en balladurie : « Tant qu’il n’y aura pas d’autre politique crédible que celle menée par Édouard Balladur, toutes les initiatives oppositionnelles seront des feux de paille. »
25 janvier
Pour Georges Marchais, le 28 e congrès du PC, qui s’ouvre aujourd’hui à Saint-Ouen, est aussi le dernier. Il avait dit en septembre dernier qu’il désirait abandonner ses responsabilités à la tête du PC. Beaucoup étaient sceptiques. Il l’a fait. Je ne vais pas ici retracer sa vie, revenir sur ce qui aura empoisonné sa carrière politique : la polémique sur son départ, volontaire ou pas, pour travailler en Allemagne. J’ai écrit tout cela dans Le Point il y a longtemps. Ce que je retiens, c’est qu’il laisse le Parti à son étiage. Lui-même, en 1981, avait fait un tout petit score. Il faut convenir qu’une élection présidentielle n’est pas le scrutin où le PC est le plus compétitif. Hélas pour lui, tous les autres résultats ont confirmé, depuis cette date, un déclin durable. Le PC d’aujourd’hui n’est plus le parti tout-puissant, le plus nombreux, qui, pour entrer dans la vie politique démocratique, décida, en 1965, de soutenir le candidat unique de la gauche.
Il faut bien convenir que Mitterrand l’a mangé tout cru. Il voulait faire du PS le premier parti de gauche en France : il y est parvenu. À sa manière : en entraînant d’abord les communistes dans le Programme commun auquel Marchais a longtemps résisté de peur d’y perdre son âme. Une fois le Programme commun signé, il s’est servi de l’union de la gauche à son seul profit. Il n’a pas à le regretter : s’il n’avait pas fait cela – attiré puis « borduré » le PCF –, il n’aurait jamais pris le pouvoir, puis ne l’aurait jamais conservé.
Deuxième étape de la chute : celle du mur de Berlin, les « rénovateurs » qui en ont profité pour avancer leurs idées, la façade unie qui a explosé, et, surtout, surtout, l’échec patent, éclatant, du modèle communiste dans le reste du monde.
Reste Marchais avec sa gouaille, sa maîtrise naturelle de la communication, sa façon d’écorcher la langue française, son accent parigot, ses rires sonores et ses grosses colères. Je garde plusieurs images de lui, plus ou moins glorieuses. L’une à Berlin-Est, en plein congrès de l’eurocommunisme, où il a fait mine de baisser son pantalon en disant au journaliste qui l’interviewait : « Est-ce que je vous demande la couleur de votre slip ? » Et puis, bien sûr, sa fameuse joute verbale avec Jean-Pierre Elkabbach. Encore que, pour la petite histoire, il n’ait jamais dit : « Taisez-vous, Elkabbach ! » Il a dit : « Écoutez, Elkabbach... », ce qui est bien différent, quoique moins propice à la caricature. Il n’importe, le « Taisez-vous, Elkabbach » – qui a été inventé en réalité par mon copain Pierre Douglas, journaliste, devenu l’imitateur de Marchais – a fait le tour de la France et valu aux deux hommes – à Marchais comme à Elkabbach – une renommée inattendue.
Je le revois aussi dans les meetings, les réunions, les congrès, parlant d’une voix forte, alternant menaces et rires. Ses premiers pépins cardiaques ont commencé il y a quelques années. Il avait laissé un certain temps le Parti sans secrétaire général, puis repris le collier sous surveillance médicale. Il s’en va à 74 ans ; c’est sage, pour une véritable force de la nature touchée au cœur.
Le problème est qu’il confie le Parti à un moment de grande faiblesse et qu’il le remet à quelqu’un dont on ne sait rien : si Robert Hue avait les épaules pour remonter ce parti dont le déclin me semble définitivement inscrit dans l’histoire de France, on aurait déjà dû s’en apercevoir avant ! Je crois bien avoir été la première à avoir entendu prononcer son nom. C’était à la fête de L’Humanité , l’année dernière. Leroy m’avait laissé entendre ce jour-là
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