Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
leurs intentions présidentielles respectives : s’ils étaient deux à se présenter, si aucun des deux ne reculait devant cette hypothèse à peine croyable il y a six mois ? « Faux problème, me répond Chirac en feignant de ne porter aucun intérêt à l’éventualité d’une candidature Balladur. Tout est sur les rails, et rien de ce que vous imaginez ne se passera. Vous verrez bien, conclut-il dans un grand rire, que je serai élu ! »
1 er avril
Je reviens aujourd’hui sur l’extraordinaire émission de Michel Field diffusée en direct sur France 2, le 28 mars. Deux heures et quart d’émission sur la politique sociale du gouvernement Balladur, notamment sur le CIP, avec en invité vedette Alain Madelin, très courageux face à la multitude de jeunes présents sur le plateau. Franchement, ç’avait de la gueule ! Une sorte d’assemblée générale de l’UNEF, au moment de Mai 1968, devant laquelle se sont présentés successivement ou simultanément Jean-Louis Borloo, maire de Valenciennes, Dominique de Calan au nom du patronat, un représentant du Syndicat de la magistrature, Valéry Turcey, la socialiste Marie-Noëlle Lienemann, sans oublier Bernard Tapie. Pour animer ce bastringue, il fallait être Michel Field, avoir été habitué au mouvement des lycéens dont il fut autrefois un dirigeant, ne pas craindre de couper la parole aux jeunes anti-CIP présents dans ce gigantesque décor. Je n’ai jamais vu autant de monde, et surtout autant de monde facilement incontrôlable, dans une émission télévisée.
Sur le fond, tout a tourné autour de la politique vis-à-vis des jeunes, du SMIC et du CIP : d’un côté, les jeunes et les hommes (et femme) politiques de gauche, très remontés ; de l’autre, Alain Madelin faisant front, se battant pied à pied, sans jamais faiblir : lui aussi devait se souvenir à cette occasion de ses débuts dans un mouvement politique musclé qui ne craignait pas la contestation, même lorsqu’elle était physique 25 .
Je me demandais ce qu’en a pensé Édouard Balladur. À mon avis, il a dû le prendre comme un acte de guerre du service public. Je sais qu’autour de lui ses conseillers ont manifesté leur incompréhension et que certains, plus proches du Premier ministre, ont fait directement connaître au président de France Télévision, Jean-Pierre Elkabbach, leur fureur. Or, me raconte aujourd’hui Michel Field, au lendemain de l’émission, au moment où il se demandait quelles seraient les réactions de Matignon et où il apprenait qu’elles étaient glaciales, il a reçu un coup de téléphone qui l’a laissé sans voix – et ravi : c’était Jacques Chirac qui le félicitait pour son audace. Cela en dit long...
À noter qu’à la fin de son émission, Field avait envoyé quelques images des « Guignols de l’info » l’émission vedette de Canal +, devenue la plus populaire de la télé française. On y a vu comme d’habitude un Chirac en train de se morfondre, et un Balladur en grand hypocrite. Ces « Guignols » sont les meilleurs agents électoraux, les plus efficaces en faveur de Jacques Chirac.
8 avril
La malédiction de la rue du Faubourg-Saint-Honoré... Hier, François de Grossouvre, un des amis les plus proches de Mitterrand, ou plus exactement un des plus anciens, s’est donné la mort dans son bureau. Je n’aimais pas Grossouvre, depuis longtemps. Je comprenais peu son rôle, à l’exception des services privés qu’il rendait à Mitterrand comme complice de ses frasques, puis, plus tard, de ses amours avec Anne Pingeot. François Mitterrand, qui sait si bien mettre ses amis dans des tiroirs séparés, pour qu’ils ne soient pas en mesure de faire des recoupements, avait placé Grossouvre dans le rayon « Chasse et femmes », ce qui est souvent la même chose.
Depuis quelque temps, je le savais, Grossouvre souffrait d’être devenu la cinquième roue du carrosse. Il se plaignait en outre – manifestation classique d’une paranoïa récente – de l’entourage de Mitterrand, qui, disait-il, lui faisait prendre des vessies pour des lanternes. Marginalisé, il souffrait de sa relégation dans son bureau au premier étage de l’Élysée, et le faisait savoir avec insistance aux journalistes qu’il savait les plus réticents vis-à-vis de Mitterrand. C’est à Catherine Nay, par exemple, qu’il a le plus souvent confié son désespoir. Il était hostile aux amis de Mitterrand, inquiet sur sa
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