Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
CDS entre Bernard Bosson et Pierre Méhaignerie. Lorsqu’il arrive devant son domicile, le chauffeur se tourne vers lui : « Monsieur Baudis, vos histoires de CDS, c’est bien beau, mais vous feriez mieux de vous occuper du chômage ! »
Traumatisé, le Baudis !
21 mars
Le premier tour des élections cantonales, hier, est indéniablement un succès pour Édouard Balladur. D’autant plus qu’il s’agissait d’élections intermédiaires qui servent d’habitude de défouloir aux électeurs. Avec 44,5 % des voix, la majorité n’a pas subi d’érosion depuis l’année dernière. Le fait que la gauche ne soit pas parvenue, en un an, à reprendre des couleurs l’a sans doute servie. D’un autre côté, si elle n’est pas arrivée à recouvrer des couleurs, c’est que Balladur continue de plaire aux Français.
Un cadeau au gouvernement d’autant mieux venu que, depuis le début de cette année, la « machine Balladur » commençait à souffrir. Le 16 janvier, les Français sont sortis dans la rue en rangs serrés contre la révision de la loi Falloux. Puis est venu le « limogeage capitalistique » d’André Rousselet, fomenté contre un ami de longue date de Mitterrand par un ami de non moins longue date d’Édouard Balladur. Le 4 février, ce furent les marins-pêcheurs et la mise à sac ducentre de Rennes. Point d’orgue : le Contrat d’insertion professionnelle. 44,5 % : la messe est dite !
Ce matin, j’arrive à Matignon où j’ai rendez-vous avec Nicolas Bazire et je tombe sur Édouard Balladur qui sort faire un tour et demande à son aide de camp « un manteau et une écharpe ». Une petite promenade rue de Varenne ou boulevard Saint-Germain lui paraît préférable à une sortie dans le parc. Costume fil à fil à la coupe impeccable, chaussettes vaticanes, il accorde beaucoup d’importance à son apparence, car il sait qu’une cravate desserrée, une pochette de travers, un veston affaissé en disent long sur l’état de fatigue ou de fraîcheur de celui qui les porte. Donc, pas de négligé chez Balladur, pas de vestons tombés, de manches retroussées pendant les réunions de travail. Ici, on se tient.
Nous sommes dans le vestibule, au premier étage de l’hôtel Matignon. Il me consacre quelques instants avant sa balade matinale. Il ne cache pas la joie que lui procure son succès aux cantonales. D’autant qu’il a l’impression, me dit-il, de ne pas avoir été aidé dans cette bataille : « Seul ? J’y suis habitué, vous savez. J’ai eu contre moi la gauche, ce qui est normal, mais aussi les états-majors de la majorité. Pas les militants, les états-majors. Après le résultat des élections, hier soir, Chirac n’a pas dit un seul mot. Giscard a émis un couplet sur l’UDF. Aucun des deux n’a dit que le gagnant, c’est le gouvernement. »
« Mes sondages ont baissé, certes, ajoute-t-il avant que je lui pose moi-même la question. Mais eux s’en contenteraient bien ! »
Alors, le bilan ? Sourire : « J’ai fait beaucoup de choses importantes, non ? » Il met à part le CIP (« c’est un amendement parlementaire, comme du reste la loi Falloux »). Le plus important, c’est que l’économie, selon lui, a redémarré. « La reprise est là, tous les indices le confirment. La consommation est en train de reprendre, le maintien du franc, la négociation du GATT ont été des succès, l’hiver dernier. J’ajoute que l’autorité de l’État a été restaurée. »
Je lui demande ce qui ne va pas bien : « Ce qui continue d’aller mal ? L’emploi, même si la courbe du chômage croît cinq fois moins vite qu’il y a un an. Les problèmes de société : les villes, les banlieues. Et la politique. »
Que veut-il dire par : « Et la politique » ?
« Allons, répond-il avec son sourire de Joconde, vous savez bien ce que je veux dire ! » Pas de doute : un an après son arrivée à l’hôtel Matignon, c’est la majorité qui le préoccupe, beaucoup plus que l’opposition. Une majorité divisée non par des idées, mais entre des hommes qui s’inscrivent tous, désormais, dans la perspective de la présidentielle. La faute à qui ? Qui pourra un jour raconter à quel instant précis deux si vieux amis se sont ainsi heurtés de front ? Oui, Chirac a été bien imprudent...
Bon, décidément, il va se promener. « Je ne sors pas dans le jardin, précise-t-il, parce que je m’y sens enfermé. » Dans la rue,
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