Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
sa faveur. Ce qui renforce encore ma quasi-certitude aujourd’hui : si Balladur n’avait aucune, mais alors aucune envie de se présenter en 1995, il se serait passé sans difficulté de son ministre de l’Intérieur. S’il a calé, c’est parce qu’il a besoin de lui.
11 mai
Giscard insiste beaucoup auprès de Balladur pour que celui-ci inscrive à son ordre du jour, le plus vite possible, le passage du septennat au quinquennat. Cette insistance irrite au plus haut point Édouard Balladur, qui pense avoir des tas de choses plus pressées à accomplir. Au cours de la réunion des députés RPR, aujourd’hui, il a laissé percer un agacement certain : « Giscard me demande de faire en trois mois ce qu’il n’a pas su faire en sept ans ! » a-t-il protesté à la grande joie des parlementaires gaullistes qui apprécient toujours que l’on s’en prenne à Giscard. C’est ce qu’il leur reste de la campagne de 1988.
À l’Assemblée, nous continuons à échafauder des hypothèses sur le duel Chirac-Balladur. « Si Balladur a 15 points d’avance sur Chirac à l’automne, personne ne pourra l’empêcher d’y aller », me dit une nouvelle fois Charles Millon. Il voit néanmoins une double possibilité en cas de conflit social grave : « Si la situation est explosive, alors Raymond Barre ou René Monory seront peut-être candidats. »
Il me dit que le président du Sénat se sent pousser des ailes. Quelqu’un lui a demandé il y a quelques jours s’il pensait que Balladur était un homme d’État. Il a fait une légère moue : « Oui, a-t-il dit, à condition de lui ajouter un petit quelque chose. »
13 mai
Un jour, il y a près de vingt ans, Jean-François Deniau, qui venait de publier un essai sur l’Europe 30 , plaisantait de lui-même en se flattant de n’en avoir vendu aucun exemplaire. Il exagérait, certes, mais à peine. « L’Europe, m’avait-il dit, ça emmerde tout le monde ! »
Eh bien, à moins d’un mois de l’élection du 12 juin, les Français donnent rétrospectivement raison à Jean-François Deniau : 53 % d’entre eux ne se déplaceront pas pour aller voter ; les chiffres desderniers sondages sont formels. En Angleterre, c’est une vérité connue : moins il y a d’Europe, et plus les Anglais sont contents. En Italie, les gens ont toujours d’autres chats à fouetter. L’Allemagne voit dans l’élection qui va avoir lieu un test national sur la popularité d’Helmut Kohl.
Le conflit en Yougoslavie montre que l’Europe n’empêche pas les guerres. L’ex-Yougoslavie n’appartient certes pas au périmètre de la CEE, mais il n’a échappé à personne qu’au début du conflit, l’Allemagne et la France étaient en désaccord, la première soutenant la Croatie, puis la Bosnie, la seconde étant historiquement plus proche de la Serbie. L’impuissance de l’Europe à régler le problème a porté un sacré coup aux convictions européennes des Français. De même, sans doute aussi, que la récession économique qui n’a épargné aucun pays européen. Je repense à Jacques Delors qui m’avait confié, il y a quelques semaines, lorsque nous nous sommes rencontrés : « Sur les trente-sept années que compte la construction européenne, douze années ont été des années de dynamisme et vingt-cinq ans des années de stagnation. » Il avait ajouté – je n’avais pas eu le temps de tout noter : « Ce n’est là qu’une crise de croissance : chacun se demande où va l’Europe, certes, mais personne ne dit qu’elle va craquer. C’est déjà un succès. »
Ce que les derniers sondages révèlent, c’est que les petites listes ont du mal à percer, que Michel Rocard ne dépasse pas la barre des 17 %, tandis que – surprise ! – la liste Tapie est créditée de plus de 8 %, et ce, au moment même où il subit un contrôle fiscal pour son yacht le Phocéa , et où d’autres affaires le menacent. Eh bien, tout cela n’a aucune importance : Tapie est aujourd’hui le seul à décoller. Au détriment de Michel Rocard...
Je me demande si, au contraire, Bernard Tapie ne prend pas, auprès des Français, une image sympathique parce que c’est le « petit » contre les « gros », le self-made-man à la française contre les crânes d’œuf de l’ENA. Plus on l’attaque, plus les Français semblent l’aimer.
30 mai
Nouveau clash au sein de la majorité, de l’ordre du ridicule, vraiment ! C’est
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