Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Bernard Bosson, qui présentait à son tour une communication, l’a achevée en deux minutes.
Au bout de quelques minutes supplémentaires au cours desquelles l’assistance est restée littéralement pétrifiée, Mitterrand est sorti de sa prostration. Il a adressé la parole au ministre qui était le plus proche de lui, Charles Pasqua, en lui murmurant une phrase du genre : « C’est dur d’avoir plus de 75 ans... » Pasqua l’a réconforté de quelques mots. Le Conseil a alors repris, les ministres achevant à vive, très vive allure leurs travaux.
Tout le monde en est sorti bouleversé.
30 octobre
Dans cette majorité, on joue le divorce permanent. Ou à tout le moins des scènes de ménage qui opposent deux à deux des couples au bord de la crise de nerfs. Le couple Juppé-Pasqua, par exemple, bat de l’aile. Tout sépare en ce moment le ministre des Affaires étrangères de celui de l’Intérieur. Ils ne sont plus d’accord sur rien, notamment pas sur l’attitude à avoir avec les islamistes. Juppé a émis à leur sujet une condamnation très sévère 47 dont Pasqua aurait aimé, pour des raisons de sécurité intérieure, qu’elle soit adoucie. Depuis quelques mois – les choses se savent –, Pasqua mène en effet sa propre diplomatie vis-à-vis de l’Algérie, en arguant des rapports compliqués entre ce qui s’y passe et les retombées sur l’immigration maghrébine en France.
Dernier accroc en date : le visa accordé par l’Intérieur à plusieurspersonnalités irakiennes, dont un conseiller de Saddam Hussein, qui devaient participer à une rencontre franco-irakienne au Sénat. Le Quai n’a été prévenu que la veille du colloque...
Le torchon brûle aussi, au Parti républicain, entre François Léotard, le premier des balladuriens, et Alain Madelin, qui se rapproche chaque jour un peu plus de Chirac. De son côté, Gérard Longuet, tout entier absorbé par son affaire, reproche au ministre de la Justice, Pierre Méhaignerie, non seulement de n’avoir rien fait pour l’aider, mais d’en avoir – c’est son mot – « rajouté ».
Évidemment, ces combats entre hommes sont tous, peu ou prou, liés à la rivalité Chirac-Balladur. Désorientés, mal à l’aise, redoutant plus que tout d’avoir à choisir trop tôt, au moment où la victoire de l’un ou de l’autre ne sera pas encore assurée, les élus, sénateurs ou députés, sont séduits par l’absentéisme. C’est ce que m’a dit hier Pierre Mazeaud, toujours aussi caustique : « Le climat actuel conduit les députés les plus vulnérables à rester chez eux et à y serrer la main de leurs électeurs. »
Le dernier combat singulier au sein de la majorité, en revanche, n’a rien à voir avec le conflit Chirac-Balladur : c’est celui qui oppose, pour la présidence du CDS, Bernard Bosson et François Bayrou.
2 novembre
Je demande à Jean-Pierre Denis, que je rencontre aujourd’hui, quand Nicolas Sarkozy a choisi Édouard Balladur. Il me répond que le rapprochement entre Sarkozy et Balladur a précédé la nomination de ce dernier à Matignon. Il le date au moins d’octobre 1992. Sarkozy a beaucoup fait pour persuader Chirac de proposer la nomination de Balladur par Mitterrand. Il ne pouvait, une fois celui-ci devenu Premier ministre, que se rallier à lui, ce qu’il a fait très tôt, m’assure-t-il : trois semaines environ après l’entrée de Balladur à Matignon.
De juin 1992 à juin 1993, Chirac, qui sentait le danger d’un éloignement de Sarkozy, a tout fait pour le garder près de lui. Il y a eu d’ailleurs, m’assure mon interlocuteur, une explication à la loyale entre eux deux. L’essentiel est qu’elle ait eu lieu, ce qui nuance le terme « trahison » qu’on emploie régulièrement dans la presse pour parler de la défection de Sarkozy vis-à-vis du maire de Paris.
Même jour
Déjeuner avec Bernard Pons et mon ami Étienne Garnier, bouillant député de Saint-Nazaire, qui s’est rangé dans le camp de Chirac. Bernard Pons est encore persuadé que Balladur ne se présentera pas. « Il calera, je vous dis qu’il calera ! » Grande tirade d’Étienne Garnier sur le risque qu’il y aurait à élire Balladur, à cause de son immobilisme : « Le défi de l’an 2000, dit-il, serait à coup sûr perdu pour la France. » C’est d’ailleurs à peu de chose près ce que Giscard a balancé l’autre jour contre Balladur. Qui dit que la campagne n’a pas
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