Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
personne ne doute de ma détermination ! »
D’abord partisan de ralentir au maximum le mouvement, Chirac a donc été convaincu qu’il lui fallait au contraire hâter le pas. Peut-être, me dit Paul Guilbert, Mitterrand lui-même lui aurait-il suggéré de le faire, lorsqu’ils se sont isolés sous prétexte de signer le livre d’or de l’Hôtel de Ville, le 25 août dernier, à l’occasion des fêtes commémoratives de la Libération.
Il s’est donc jeté le premier dans la bataille. Pour des raisons qui tiennent d’abord aux autres candidats, toujours non déclarés : ceux-ci – Édouard Balladur, Jacques Delors – occupent la place et risquent en quelque sorte de le marginaliser. Il suffit de lire les journaux : on voit bien que le débat se noue entre les deux premiers, Jacques Chirac jouant pour le moment le rôle du troisième homme qui n’a aucune chance d’arriver au second tour. Si quelqu’un en doutait, les sondages quasi quotidiens le démontreraient à l’envi. Si Chirac ne se lance pas officiellement dans la bataille, il risque d’être poussé de côté, puis oublié.
Et puis Chirac sent, à plusieurs indices, que son action patine, depuis quelques jours. Tout montre qu’il ne profite pas, aujourd’hui, des difficultés que connaît le gouvernement avec la mise en examen de Longuet ou le départ du ministre de la Coopération, Michel Roussin. Même lorsque, pour une période toujours courte, Édouard Balladur baisse un peu dans les sondages, Jacques Chirac n’en bénéficie pas. C’est Jacques Delors, en revanche, qui tire les marrons du feu. Situation qui devient dangereuse pour Chirac si sa candidature demeure virtuelle.
Et puis, troisième raison : même s’il affiche de ne pas y croire,il craint le battage fait par Charles Pasqua autour des primaires 50 . Il préfère prendre les devants. De deux choses l’une : si, comme il le pense, l’idée des primaires fait un flop, il n’aura pas attendu la permission de l’un ou de l’autre pour être candidat ; si elles avaient eu quelque chance de pouvoir être organisées, il aurait annoncé son intention d’être candidat, mettant ainsi un terme à l’inlassable combat de Charles Pasqua.
Il est trop tard : je reviendrai demain dans le détail sur la façon dont Chirac a préparé le coup de La Voix du Nord ...
5 novembre
Je reprends la chronologie de la candidature de Chirac ; j’irai demain seulement au congrès des Radicaux de gauche où l’élection présidentielle figure également à l’ordre du jour.
Jacques Chirac est rentré du Japon lundi dernier. Alain Juppé, lui, rentrait d’un déplacement au Maroc. C’est lui que Chirac a averti le premier, dès son arrivée à Paris, qu’il comptait faire acte de candidature en fin de semaine. Il avait imaginé le scénario : il devait se rendre à Lille dans quelques jours, le 4, c’est là qu’il a décidé de rendre publique sa décision de se lancer dans la bataille.
Mercredi, il a reçu à l’Hôtel de Ville le correspondant parisien de La Voix du Nord . Celui-ci s’attendait à recueillir une interview sur les problèmes de santé, sous prétexte que Chirac allait visiter les principaux établissements hospitaliers et le CHU de Lille. Il s’était doncfait accompagner par la spécialiste scientifique du quotidien lillois 51 . Le correspondant de La Voix du Nord , me dit Lydie Gerbaud, avait envisagé de poser des questions politiques à la fin de la rencontre. Elle l’en a dissuadé, lui disant que Chirac ne souhaitait pas aborder le sujet.
L’interview est donc recueillie sur les problèmes de santé le 2 novembre par les deux journalistes qui la font parvenir à leur rédaction. C’est seulement au moment du bouclage, toujours selon Lydie, que Chirac rappelle le journaliste de La Voix du Nord et lui dit qu’il veut procéder à quelques corrections.
Tu parles de corrections ! Chirac a rajouté par fax l’annonce de sa candidature.
Je me demande tout de même, ce soir, s’il n’est pas une autre raison à la hâte de Jacques Chirac : c’est l’état de santé du Président. Il ne le dit pas, bien sûr. Mais je suis sûre que c’est une dimension qu’il a à l’esprit au moment où les ministres et la presse se répandent sur le malaise de Mitterrand, le 26 octobre, en plein Conseil. 26 octobre, 2 novembre : entre ces deux dates, Chirac a pris sa résolution. Je veux bien que les deux choses, malaise et candidature,
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