Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
les combattants à terre.
Charles Pasqua a été le premier à attirer mon attention là-dessus après une interview radiophonique matinale. En mai ou en juin dernier, m’a-t-il raconté, il a tenté d’utiliser le peu de crédit qu’il avait conservé auprès de Chirac pour lui conseiller de ressouder la majorité. C’est de lui, notamment, qu’est partie l’idée de confier la Mairie de Paris, désertée pour cause d’Élysée, à Édouard Balladur.
Sans aller jusqu’à confier son poste au rival d’hier, Chirac aurait pu entrouvrir sa porte aux adversaires de la veille, et, sans même les faire entrer au gouvernement, leur distribuer quelques petits « plaçous », comme on dit en Corrèze, de nature à les calmer. Il n’a pas voulu le faire, et ce qui devait arriver est arrivé : quelques mois seulement après son arrivée à l’Élysée, l’opposition de gauche étant relativement silencieuse, les affrontements se situent à l’intérieur de la droite. Tantôt c’est Raymond Barre qui trouve le gouvernement trop mou dans la réduction des déficits publics, tantôt c’est Léotard qui, tout en jurant de sa loyauté au gouvernement Juppé, parle de l’« intransigeance » du Premier ministre. Sans compter le nouvel exclu de l’Olympe gouvernemental, Alain Madelin, qui plante quelques banderilles : lorsqu’AlainJuppé explique par exemple qu’il lui faudra deux ou trois ans pour abaisser les impôts, Madelin rappelle opportunément qu’il avait dans ses cartons, au moment de quitter Bercy, le projet de faire baisser de 20 à 25 % en moyenne, dès cette année, l’impôt sur le revenu !
La machine grince, donc, avant même la rentrée au Parlement des anciens ministres balladuriens : Nicolas Sarkozy, par exemple, ne va pas se priver d’ouvrir des brèches dans le dispositif politique de Juppé.
Bref, le Premier ministre doit se donner le temps de voir venir. Il a déjà reçu à déjeuner Sarkozy, ce qui montre qu’il engage des manœuvres de rapprochement. Ce n’est pas suffisant. Et on se trouve aujourd’hui face à un paradoxe éclatant : la victoire de la majorité aux législatives de 1993 a été considérable, et pourtant, deux ans plus tard, Chirac n’a pas, aujourd’hui, la majorité de son cœur. S’il ne fait rien, il ne l’aura pas, au mieux, avant 1998.
3 novembre
Rien écrit depuis quelques jours, tant la préparation éclair de l’émission que je vais présenter sur France 2 à la place de la revue de presse m’a accaparée. Une émission que m’a donnée le nouveau président de France Télévision, Jean-Pierre Elkabbach. Comme quoi, il ne faut désespérer de rien. Au moment où je me demandais s’il n’allait pas me virer en arrivant, vues nos relations peu cordiales à Europe il y a 8 ou 9 ans, c’est tout le contraire : il me confie une émission plus politique, à la place de la prestigieuse « Heure de vérité », qu’il n’a pas souhaité reconduire, la jugeant usée. C’est Patrick Clément à qui je dois, je le sais, cette émission. Il en a eu l’idée le premier. Elkabbach pouvait refuser : il a, au contraire, accepté tout de suite. J’ai eu quinze jours pour mettre au point les choses avec Maurice Dugowson 40 , dont j’ai fait la connaissance à cette occasion. J’ai suffisamment râlé contre le sort que m’avait réservé JPE, je le remercie aujourd’hui. Rien n’est jamais définitif, dans notre métier, ni d’ailleurs en politique, ni les amitiés, ni les inimitiés.
1996
2 janvier
« On ne peut pas dire, comme Alain Juppé : “C’est ma réforme ou le déclin de la France.” L’histoire de France est pleine de réformes avortées qui ont été des bienfaits, et de réformes forcées qui conduisent au déclin. »
Qui parle ainsi ? Nicolas Sarkozy, qui reproche en privé à Alain Juppé d’avoir brisé la croissance avec l’augmentation de deux points de la TVA. Il trouve absurde la création du RDS : « Les gens n’ont même pas eu le temps de se familiariser avec la CSG 1 ! » Et d’ajouter en guise de conclusion : « À l’étranger, la France en prend plein la figure. En Chine [d’où il revient], on m’a dit : “Finalement, il vaut mieux vivre en Chine qu’en France. Ici au moins, on est heureux !” »
Pour la première fois, Jacques Chirac a prononcé la traditionnelle allocution de vœux présidentiels. Il souhaite que la France se porte bien, que les Français aillent
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