Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
ample pugilat : entre ceux qui veulent se débarrasser de Giscard, comme Léotard, ceux qui sont proches de lui et qui feront tout pour le maintenir, comme Hervé de Charette, ceux encore qui, comme Madelin, entendent développer leurs thèses et disposer d’un parti pour les défendre, sans oublier François Bayrou, en embuscade : on va s’amuser !
8 janvier
Mort de François Mitterrand. André Rousselet, la voix cassée, me raconte au téléphone les dernières vacances qu’ils ont passées ensemble, il y a quelques jours seulement, en Égypte, sur les bords du Nil, dans cet hôtel que Mitterrand adorait : l’Old Cataract. Mazarine et sa mère étaient là, Mitterrand regardait sa fille avec fierté, il parlait à ses amis qui faisaient mine de ne pas remarquer son affaiblissement continu.
Voilà, qu’ajouter d’autre ? J’ai l’impression d’avoir tout dit au cours de cette journée où j’ai commenté sa mort avec Olivier Mazerolle à l’antenne. Cela ne m’empêche pas d’avoir éprouvé presque de la souffrance à l’idée qu’il ait disparu, même si je ne l’avais plus vu depuisdécembre 1994. Je ne sais pas quoi évoquer au lendemain de sa disparition. L’amateur de livres, d’Histoire et de femmes ? Le polémiste incisif, le tribun ? Le leader de l’opposition au gaullisme, l’homme de rupture, ou le Président consensuel ? Le rassembleur de la gauche, le parfait manœuvrier politique, celui dont la domination a marqué le Parti socialiste pendant plus de deux décennies ? L’homme sombre, violent parfois, vindicatif ou l’humaniste ? Tout cela à la fois. C’est pour cette raison qu’à gauche je ne vois pas qui pourrait prendre sa place.
Deux souvenirs, ce soir :
1974 : second tour de la présidentielle. Mitterrand a perdu. La soirée s’achève à son QG de la tour Montparnasse. L’un après l’autre, ses lieutenants, navrés, prennent congé. François Mitterrand reste seul avec Laurence Soudet, sa plus fidèle assistante depuis 1958, qui, dès le lendemain, m’a raconté. Elle est accablée par la défaite. « Dommage, murmure simplement Mitterrand, j’aurais fait un bon président. » Quelques instants plus tard, sur le parvis de la tour, en montant dans sa voiture, il la console : « Cela ne fait rien, lui dit-il, je serai élu en 1981. »
1967 : comme je lui demande comment il compte s’y prendre pour déjouer les assauts de Guy Mollet, alors secrétaire général de la SFIO, qui ne veut pas lui laisser le champ libre à gauche, il me répond : « C’est simple, Guy Mollet pense à m’abattre 23 heures sur 24. Il me suffit, à moi, de penser 24 heures sur 24 à être plus fort que lui. » Quelques années plus tard, au congrès d’Épinay, Mitterrand sera élu à la tête du Parti socialiste.
Mitterrand était un combattant politique. Convaincu que les montagnes se renversent. Que rien n’est perdu si on se bat vraiment. Et, surtout, que rien n’est jamais définitivement gagné.
L’intervention télévisée de Jacques Chirac, que je viens de regarder, a été un beau moment de télévision. Et aussi, je pense, un beau moment politique. Jacques Chirac a eu des phrases simples, directes, émouvantes sur Mitterrand. Ce qu’il fallait ce soir et à cette heure-ci. Mais pas seulement : il s’est lancé dans ce qu’on pourrait appeler un portrait politique de Mitterrand qui ne manquait pas d’allure, d’autant plus qu’il émanait d’un adversaire, parlant avec simplicité de la relation particulière, « contrastée mais ancienne », qu’entretenaient les deux hommes qui se sont longtemps combattus.
« Mitterrand, a dit Chirac, c’est une volonté », ajoutant, ce qui est bien vrai, qu’il n’est pas « réductible à son parcours » politique.
12 janvier
Roland Dumas, que je rencontre aujourd’hui, évoque les dernières semaines, les dernières heures de François Mitterrand. Il a travaillé, me dit-il, jusqu’à la fin, le samedi soir. Jacques Chirac a téléphoné avenue Frédéric-Le-Play 2 pour prendre de ses nouvelles ou lui parler à peu près tous les jours depuis plusieurs semaines. Ce qui a touché Chirac, selon Roland Dumas, c’est que Mitterrand l’ait invité, en mai dernier, place de la Concorde, à la cérémonie anniversaire de la victoire de 1945, alors qu’il était tout juste élu mais pas encore proclamé élu. Il a aussi été touché qu’avant son départ de l’Élysée,
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