Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
mieux encore. À la bonne heure ! Il ne manquerait plus qu’il souhaite le contraire ! J’ai senti dans sa voix – ou peut-être l’ai-je inventé – du soulagement à l’idée que la crise, si dure, de novembre-décembre soit terminée.
En réalité, il est face à trois défis dont il n’a pas parlé dans son allocution.
Défi politique : après une fin d’année apocalyptique, il doit impérativement démontrer qu’il y a un pilote dans l’avion. Qu’il peut faire, et lui seul, la synthèse entre ses promesses de campagne et les réalités qu’il offre aux Français. Il ne lui suffit plus de dire que le temps estson meilleur allié. Son capital, au contraire, diminue de jour en jour. Plus important : il doit démontrer dès cette année qu’il a bien la dimension, toutes les dimensions de la fonction présidentielle. Il ne peut plus se payer le luxe d’un conflit social aussi grave que celui de décembre. Il n’a plus droit à l’erreur. Et pas davantage Alain Juppé.
Puis il y a l’économie dont Chirac n’est pas seul à détenir les clefs. La croissance sera-t-elle au rendez-vous de 1996 ? René Monory me le disait l’autre jour : il pense qu’elle n’atteindra en aucun cas les 2,5 % prévus dans le budget. Les pronostics oscillent entre 1 %, pour les plus pessimistes, et 2,4 %, pour les plus euphoriques des conjoncturistes. Chirac pourra-t-il remettre les Français au travail ainsi qu’il en avait exprimé le désir et la possibilité, si la croissance n’est pas au rendez-vous ?
Enfin, comment sortira-t-il la France de son malaise intellectuel (ou moral, comme on voudra) ? De ce désenchantement dans lequel, six ou sept mois seulement après son élection, les Français sont tombés ? Le plan de relance, promis dans la nuit du 21 décembre lors du sommet social, suffira-t-il à les en faire sortir ?
En attendant, les réformes structurelles sur les retraites et la fiscalité sont reportées à des jours meilleurs. Le catalogue qui tient lieu de plan de relance entend provoquer un déclic permettant à la consommation des ménages de repartir. Rien à voir avec le plan Juppé de novembre dernier. Qui croire, alors ? Comment se réjouir quand le gouvernement change si vite de cap qu’on ne peut plus le suivre ?
4 janvier
Sur France 2, Giscard vient de donner un coup de main au gouvernement. Je me souviens d’ailleurs que c’est lui, et non Chirac, qui avait dit, à l’occasion d’élections européennes, que Juppé était « le meilleur ». Il continue à lui manifester son soutien après cette période éprouvante. Son jugement sur la crise sociale de décembre est qu’elle n’a à aucun moment atteint le secteur privé, que le mouvement s’est borné à une crise des transports : pas de quoi transformer cette grève en crise sociale, morale, psychologique et tout le toutim.
Quant au plan Juppé sur la Sécurité sociale, il le dit, « ce plan est un bon plan ». Les Français étaient prêts, selon lui, à accepter la réforme, car ils sont convaincus que le déficit de la Sécurité socialedoit être comblé. Quant à la dernière décision de Juppé, qui date d’hier, imposant la rigueur salariale aux entreprises publiques en fixant aux différents ministres de tutelle un plafond limité à 3,4 % pour l’année, il trouve qu’elle est justifiée et peut être acceptée par les syndicats dont la revendication se borne à ce que les salaires augmentent aussi vite que l’inflation.
Sur l’Europe, en revanche, il souhaiterait que Jacques Chirac s’exprime davantage, qu’il démontre à l’opinion publique, comme lui, Giscard, essaie de le faire aujourd’hui, que, certes, les critères de Maastricht compliquent la lutte contre le chômage en France, mais qu’il faut voir sur la durée, qu’il n’y a pas d’issue sans union de l’Europe. « Jacques Chirac, dit-il, s’est rallié à la monnaie européenne, il faudrait qu’il le fasse savoir davantage. » Je note qu’il a employé le mot « rallié », faisant allusion à ses nombreuses réticences vis-à-vis de l’Europe avant 1992.
Un mot, enfin, sur l’UDF. Il dit assez justement qu’entre le RPR et le Parti socialiste, il n’y a pas place dans la vie politique française pour cinq composantes, cinq partis du centre. Il assure qu’il quittera la présidence du mouvement quand l’unité y aura été réalisée. Il me semble que cela va ouvrir au sein du mouvement un
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