Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
et de l’Emploi, Jacques Barrot me parle ce matin du travail et de l’emploi. Il le fait avec énergie : « Le malheur, dit-il néanmoins en changeant de ton, comme tant d’autres, en quittant l’antenne, c’est que nous nous sommes trompés de message. L’année dernière, il ne fallait pas parler à ce point du chômage et de l’emploi, mais braquer le projecteur sur les investissements. Nous ne l’avons pas fait, et maintenant il est trop tard. »
Dieu me garde de mes amis ! doit se dire Juppé.
9 juillet
Les anciens ministres UDF d’Édouard Balladur – c’est Simone Veil qui me le raconte – devaient dîner ensemble le soir de l’intervention télévisée d’Alain Juppé sur TF1. Ils étaient donc tous réunis au restaurant La Gauloise, du côté des Invalides, et avaient demandé un téléviseur pour suivre, avant le repas, les propos du Premier ministre. En le regardant, les uns et les autres ont émis quelques petites réflexions assassines, puis ont décidé assez rapidement de passer à table sans attendre la fin.
Quant à Giscard avec qui j’avais rendez-vous ce matin (je ne peux pas croire qu’il participait au même dîner), il n’a pas écouté Juppé, « lequel, me dit-il, n’avait pas grand-chose à dire ».
14 juillet
Le traditionnel rendez-vous télévisé de la fête nationale, aujourd’hui, a montré Jacques Chirac tel qu’il est : pas vraiment décontracté, un peu gauche, d’une gaucherie déconcertante chez un homme qui tient le devant de la scène depuis plus de trente ans, presque une gaucherie de jeune homme qui n’a pas fini de grandir. Direct, sans fioritures de style, jouant à fond la carte de la proximité.
Que voulait-il faire au juste ? Quel était son dessein, aujourd’hui, dans cette figure imposée qu’est l’interview du 14 Juillet, à laquelle aucun changement n’a été apporté depuis plus de dix ans ? Sans doute, parce qu’ils en ont bien besoin, voulait-il rassurer les Français qui, dit-on, attendaient beaucoup de son intervention. Leur donner, ou plutôt leur redonner du cœur à l’ouvrage.
Si c’était cela, c’est un échec. En premier lieu, le message présidentiel est loin d’être limpide. Le principe même d’un entretien de plus d’une heure, entre 13 et 14 heures, pendant que, sur la pelouse élyséenne, les invités attaquent les buffets en rangs serrés, ne contribue pas à la simplicité du propos : à balayer tout le spectre de la politique, de la Corse à la « vache folle » en passant par les « affaires » et la perspective, toujours différée, d’une baisse de l’impôt sur le revenu, le discours perd en clarté. La généralité du propos est inversement proportionnelle à la précision de son contenu.
Donc, pas la moindre annonce fracassante, hormis celle, imprévue mais assez anxiogène, du déménagement des 50 000 enseignants et étudiants de la fac de Jussieu pour cause de désamiantage. Pas d’électrochoc pour sortir de la morosité, donc. Et surtout pas de ligne directrice, pas de voie largement tracée. « Là où il y a une volonté, disait le candidat de 1995, il y a un chemin. » N’y en aurait-il plus en 1996 ? Il est en tout cas plus difficile à tracer : Chirac est conscient de ce que les Français attendent de lui une amélioration sensible sur le plan de l’emploi. « Nous avons été trop longtemps immobiles, il faut remettre la France en mouvement », dit-il en réclamant du temps. Un temps que les Français ne lui accordent peut-être plus. J’ai été frappée, aujourd’hui, par la similitude entre le discours du Mitterrand vieillissant et celui de Chirac au bout d’une seule année de mandat. Mitterrand confessait qu’il avait tout essayé contre le chômage, que rien ne marchait. Je me rappelle alors les exclamations indignées des dirigeants RPR et UDF de l’époque. Eh bien, aujourd’hui, Jacques Chirac a reconnu qu’il n’avait ni baguette magique, ni recette-miracle. Des propos somme toute assez faciles à comprendre, mais bien peu mobilisateurs.
Il confirme qu’il ne tentera pas d’« autre politique » que celle du gouvernement, que le cap demeure la lutte contre le déficit, compatible avec une réduction des impôts et une baisse du chômage. Dans ces conditions, le satisfecit exceptionnel que le Président décerne à Alain Juppé ne surprend pas : le Premier ministre « fait aussi bien qu’il peut », il agit dans le sens des
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