Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
République et, à défaut, le Premier ministre. Attendait-il, il y a quelques années de cela, au moment de Dreux 31 , attendait-il de Chirac que celui-ci le comprenne, qu’il admette le Front national au sein de la majorité ? A-t-il espéré que ce soit possible ? Chirac m’a toujours dit qu’il n’avait jamais rencontré Le Pen dans cette perspective. Reste qu’il traînera longtemps encore le boulet du FN.
27 septembre
Les journées parlementaires du RPR au Havre ont été l’occasion d’un grand discours, plus que sceptique, d’Édouard Balladur. C’est du moins l’essentiel de ce que j’en ai retenu : il faut, a-t-il expliqué, qu’en 1998, pour la campagne des législatives, la croissance et l’emploi soient repartis. Manifestement, il n’est pas certain que le gouvernement en prenne le chemin. Alors, au bout du chemin, « que fera le président de la République élu en 1993 ? ». Il se reprend aussitôt : « Euh... en 1995 », mais son lapsus en dit long. Le Président sera-t-il contraint, se demande-t-il, à la cohabitation ? « Elle est parfois inévitable, elle n’est jamais souhaitable », dit-il sur le ton de l’avertissement.
Ce n’est pas un hasard si les balladuriens, Balladur en tête, ne cessent de penser, depuis bientôt un an, que Chirac fait tout pour aboutir à une cohabitation. Leur conviction est que, puisqu’il n’a pas voulu réconcilier balladuriens et chiraquiens dès sa victoire de 1995, le chef de l’État ne peut que souhaiter une autre majorité que celle qu’il a, quitte à déboucher, peut-être non sans soulagement, sur une victoire de la gauche en 1998.
Juppé a finalement clôturé les débats. Il est arrivé en possession d’un mauvais chiffre du chômage, précédé par l’expression du scepticisme d’Édouard Balladur, et fortement mis en cause, la veille, par Pierre Mazeaud, sur la ligne plutôt souverainiste. Il a beau avoir demandé une « adhésion franche et sincère, de l’esprit et du cœur », il n’est pas sûr que les parlementaires la lui donnent, cette adhésion.
En marge de ces journées parlementaires, Gabriel Kaspereit 32 , aux côtés de qui je me trouve à déjeuner, me raconte son entrevue avec Chirac, le 22. Il l’a interrogé sur la monnaie unique et l’Europe, dans un sens très « gaulliste », me dit-il. « Cela ne t’embête pas, a-t-il demandé à Chirac, que la Banque européenne ait son siège à Francfort ? – Oui, j’aurais préféré à Bonn », lui a répondu Chirac en rigolant. Il est remonté au créneau sur la monnaie unique : « J’ai besoin de l’euro », lui a dit le Président. « Mais qui décidera que l’euro doit baisser, s’il le faut ? » a demandé Kaspereit. « Les financiers ! » lui a-t-il été répondu. Kaspereit a bougonné : « Tu vois bien qu’il s’agit de donner le pouvoir aux fonctionnaires ; ils font ce qu’ils veulent, tu le sais bien, pourtant ! »
Peine perdue, note tristement Kaspereit : « Maintenant, il poursuivra dans cette voie jusqu’au bout. »
4 octobre
Jean-François Probst 33 me raconte sa version – la bonne, car je l’ai immédiatement recoupée auprès de quelques députés – du déroulement des journées parlementaires du Havre : en réalité, Jacques Chirac est intervenu à de nombreuses reprises auprès de Michel Péricard, président du groupe parlementaire RPR, pour protester contre les prises de positions d’Étienne Garnier et de Pierre Mazeaud, qui avaient dénoncé fermement la politique suivie par le gouvernement. Mazeaud a donné de surcroît à son opposition une forme qui a largement débordé le rassemblement parlementaire du Havre. Il s’est exprimé en termes forts, à son habitude, sur France 2. Gourdaud-Montagne a avisé Juppé, qui ne l’avait pas écouté, de la teneur de ses propos. Du coup, clash : le Premier ministre a refusé de se rendre au Havre. Jacques Chirac, comme d’habitude, a pris sa défense et a tancé ce pauvre Péricard, qui n’en pouvait mais. Puis il a appelé Étienne Garnier au téléphone, me raconte celui-ci, pour lui dire à quel point Juppé prenait mal toutes ces attaques, et pourquoi il fallait ne pas lui empoisonner la vie. Après ce happening, Juppé a finalement accepté de s’adresser aux députés, sans doute tout simplement pour ne pas abandonner le terrain à Édouard Balladur.
Suit, cette semaine, le vote de confiance que demande Alain Juppé
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